Pour vous répondre, cela date de mes cours donc je n’ai plus le détail en tête, mais au moins : (i) la Chartes des Droits Fondamentaux de l’UE (qui du point de vue du droit français n’est formellement pas supérieure à notre constitution mais d’une certaine façon peut matériellement le devenir…) désigne expressément la liberté “syndicale” comme partie intégrante du Droit de réunion et d’association, terme que la DDHC n’emploie pas (les termes comptent beaucoup, celui-ci notamment, pour la conformité de la loi et les droits du justiciable), (ii) et la Directive 2009/38/CE dont certaines dispositions étaient, me semble-t-il, à l’époque, plus protectrice et favorables auxdites libertés.

Bonjour,

“Le droit et la politique sont des concepts presque synonymes : la politique consiste principalement à faire la loi et je m’étonne toujours que peu de juristes soient des militants, même si un nombre non négligeable de grands élus politiques ont été avocats.” Je vais partir de là pour opiner et objecter.

Je m’en étonne autant que vous, m’en navre et pourtant : demandez à n’importe quel avocat député un tant soi peu sincère et lucide, il vous expliquera pourquoi. Il y a cette phrase de Flaubert dans l’une de ses correspondances de jeunesse, où il s’énerve : “Je ne vois rien de plus bête que le Droit, sinon l’étude du Droit”. La formation juridique, comme l’école, est tout aussi perméable aux évolutions de la société. Restons pessimistes : on peut (assez arbitrairement, ce n’est qu’un constat) distinguer deux classes de juristes : (i) les bons élèves, tendance thésard, qui ont un rapport quasi-esthétique à l’ordre juridique et sa logique, indifférents à ses rapports avec la politique “réelle”, la sociologie, la critique (marxienne) de l’idéologie, la philosophie ; et (ii) les élèves normaux-moyens, moins indifférents à ces rapports mais pour qui le droit consiste essentiellement en une pratique permettant d’occuper une place sociale avantageuse et à gagner de l’argent. Il y a chez ces derniers ceux qui y parviennent au courage et à l’abnégation, car c’est devenu pour eux une véritable vocation (grand grand respect pour eux : ce sont les véritables avocats qu’ils nous restent à mon humble avis), puis ceux qui décrochent rapidement pour diverses raisons personnelles ou objectives, et enfin ceux qui bien nés disposent du capital culturel et financier leur permettant de faire carrière promise.

Ma petite singularité (je ne dois assurément pas être le seul) est que si je garde cette sorte de “neutralité” politique ou de sérieux idéologique face aux affaires judiciaires, je n’avais pas vraiment aimé me faire taper dessus et gazé lorsque je manifestais pacifiquement pour des causes légitimes socialement et juridiquement. Cela date mais m’a marqué.

En revanche je ne pense pas que la politique consiste essentiellement à faire la loi. Ne serait-ce que parce que ceux qui font réellement la loi, aujourd’hui, c’est la petite cours d’énarques voire de science-pistes (je me souviens d’une prof qui les appelait “experts du consensus mou”) qui, anonymes, entourent et conseillent le Roi.

Voilà tout mon problème avec la verticalité : elle est déjà divisée, volontairement, par ceux qui nous gouvernent – et la 5ème favorise cette forme d’aristocratie. Divisée organiquement donc, et non pas formellement ni tout à fait matériellement. Encore qu’il y a, particulièrement en France, un réflexe politicien consistant à imputer hypocritement à l’UE l’impossibilité de réformer, tout en étant les premiers à défendre non pas un fédéralisme réel, mais une forme d’autonomie institutionnelle à contenu essentiellement néo-libéral (pas uniquement, il y a des libertés, syndicales par exemple, que sans l’UE nous n’aurions pas).

L’influence de la France au Conseil européen est immense – ceux qu’on appelle “technocrates” ne sont que des exécutants, autonomes parce que cela arrange nos gouvernements. Oui la politique DEVRAIT consister notamment à faire la Loi, générale et défendant le faible, et non à empiler jurisprudences et intérêts particuliers. Mais elle consiste, en fait donc réellement, dans la capacité subjective des sujets-peuple(s) à inventer progressivement des idées puis à les rendre hégémoniques puis à les faire appliquer, par nos représentants. Elle consiste à intérioriser, avec éthique, l’Histoire. Si vous saviez (mais peut-être le savez-vous) le mépris structurel que cet “élite” anonyme et sans mandat entretient à l’égard des gens ordinaires, vous seriez probablement écœuré. Je le suis en tout cas. Par ironie, je suis heureux qu’ils tendent de plus en plus à monter des start-up plutôt qu’à faire carrière politique ou administrative.

Bonne journée !

Pardon : Locke

Bonsoir,

Déjà, un plaisir de vous lire. Le “gramscisme” pratique, et peut-être une forme de léninisme stratégique m’ont certes marqués. Mais mon modèle demeure Peguy sur tous les plans – ne disons pas maitre, cela pourrait ne pas lui plaire. Je n’ai pas ses ouvrages et recueils sous la main donc de mémoire, mais vous les connaissez certainement : “la Raison ne [ceci cela] pas”, “ceux de l’Ancien Régime et de la Révolution”, “ils chantaient en allant travailler”, “il fallait qu’un bâton de chaise fut bien fait”, “nous avons connu un temps où la misère était fidèle, où l’on ne jouait pas”, etc.

Vos mots sont à méditer, je le pense. N’oubliez seulement pas que la “vie réelle” dont vous parlez, celles des gens qu’on expulse de leurs maisons après leur avoir vendu de force des crédits mirobolants, résultent d’actions d’hommes tout aussi vivants, de vies tout aussi réelles faites d’intérêts plus ou moins conscients, plus ou moins différents.

Le droit naturel (antique et chrétien) s’adapte parfois mieux que le droit formel et moral, ou légaliste, ou “interpersonnel” que souvent nous promouvons. Le droit naturel a des vertus comme vous les dites, parfois même directement contemporaines (je pense à Hobbes par exemple) car nous l’avons tant intégré et refoulé que nous ne savons parfois plus l’appliquer.

Personnellement, j’aime les simples militants, celui que j’ai été tout naïvement. La corruption advient trop vite, au sein même des sections, dès les premières responsabilités.

Je me permettrai de parler de verticalité demain : où nous divergeront (“c’est énorme !”)

Bonne nuit (pour moi du moins)

Cher Christian,
Camarade,

A mes yeux, la poursuite de la discussion intergénérationnelle est essentielle. Elle se perd, malheureusement, au “profit” des plus jeunes, en réalité au préjudice de tous.

Je prendrais le temps de vous lire et répondre plus longuement demain. Je note toutefois votre attachement à l’État de droit, que je sais éminemment précieux – il suffit de connaitre la vie actuelle des classes populaires et moyennes de certains (pas tous) États africains ou d’Amérique du Sud pour s’en rendre compte . Je suppose (simple hypothèse) que du point de vue de votre génération, l’État de droit est d’autant plus important. C’est ce qui peut faire, entre autre, l’intérêt de notre discussion : démocratie au sens du peuple / État de droit : le tout de façon concrète et constructive.

Bien à vous

Bonjour Christian,

Merci pour votre message serein et argumenté alors même que mes questions pouvaient sembler provocatrices :)

Vous parlez d’"ordre nouveau" dans ce contexte historique si dépassée que nous pouvons, en effet, le mettre de côté. Vous parlez donc d’ordre en un sens logique (ordonnancement de règles ) ou simplement organisationnel : un ordre juridique et constitutionnel par exemple.

On pourrait parler d’ordre au sens hiérarchique, de commandement, ceux que le Président, lorsque le gouvernement et l’assemblée en dépendent, et dans le cas inverse, ceux du gouvernement – solidaire, rappelons-le. A ce niveau institutionnel, un certain désordre règne, pour des raisons toutes politiques, vous en conviendrez.

Mais ce désordre, je me souviens de l’avoir anticipé (sans m’en glorifier, je suis un peu constitutionnaliste), il est notamment issu d’une présidentialisation (en réalité d’une monarchisation), d’une pratique de surmédiatisation-surpersonnalisation du Président clairement initiée par Sarkozy. Elle existait déjà avant évidemment, en puissance, simplement le rapport de force et de connivence entre médias et politiques étaient différents techniquement, culturellement, financièrement, etc.

Admettons que cette pratique, qui n’est pas seulement la résultante d’une quelconque “volonté politique” ou autre croyances, changent, pour tendre vers plus de démocratie participative – nous avons le même objectif. Je ne sais pas quel âge vous avez (moi 36 ans : “génération CPE” comme on dit) mais je reste, sincèrement, vraiment étonné que vous continuiez à y croire, après tant de promesses et même tant de tentatives concrètes – notamment la réforme de Sarkozy paradoxalement : https://www.vie-publique.fr/eclairage/268318-la-reforme-de-2008-sur-la-modernisation-des-institutions.

L’ordre du jour est toujours en réalité contrôlé par le gouvernement, les séances publiques portent toujours sur le texte du gouvernement pour les lois essentielles, la répartition entre les pouvoirs et compétences de la loi/parlement et celles du règlement/gouvernement permettent toujours cet arbitraire de l’irrecevabilité financière ou de compétence, les conditions et conséquences du RIC sont une blagues, etc.

Pourquoi cela changerait ? Pourquoi sortirions nous de cette vraie monarchie constitutionnelle ? Quel intérêt un nouveau gouvernement, surtout s’il est “inconditionnel de la 5ème” ce qu’ils sont ou deviennent tous une fois au pouvoir, aurait-il à le modifier ? Et surtout : comment !? La haute magistrature (dont celle des corps d’inspection, de la police et de l’armée, ne l’oublions pas…), inamovible, tient absolument à conserver les prérogatives issues de cette impuissance du parlement : nomination, idéologie, pouvoir décisionnel, autonomie, rémunération, etc.

Avançons pas à pas : oui, soit. Mais j’entends ce mot d’ordre, de mon si vieil âge, depuis plus de 20 ans…

Bien à vous,
Raphaël

Bonjour Christian. “Enfin, le NFP risquerait de se salir les mains, en exerçant le pouvoir. Sans doute. Il demeure néanmoins que la nature a horreur de la naïve “politique de la chaise vide”, laquelle n’a jamais mené ailleurs qu’au pire”.

De quel vide parlez-vous ? Du vide d’idée ? Du vide démocratique de la 5ème République ? Jamais, sinon celle même du pire, n’ai-je vu de politique dont l’objectif serait, en raison de telle ou telle circonstance, de “maintenir l’ordre”.