Saint-Denis 93 - Mathieu Hanotin (Maire de Saint-Denis, Président de Plaine Commune) En 2022, un sondage nous indiquait que les habitants de Saint-Denis, à rebours des a priori qu’on peut avoir, approuvaient à 85% l’augmentation des effectifs de police municipale. Ce sondage ne montrait pas de clivage selon l’âge ou les revenus, mais bien un véritable consensus chez les Dionysiennes et les Dionysiens. La sécurité est le premier besoin qu’ils expriment, et à raison : la sécurité est un droit garanti par la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, une condition de notre liberté et de l’égalité républicaine qui doit nous lier. Lorsqu’elle n’est pas assurée, ce sont d’abord les classes populaires et les plus démunis qui en souffrent. Comment, à partir de là, pourrait-elle être un sujet réservé à la droite ? La gauche dans son ensemble, et les socialistes en particulier, doivent s’emparer de cette question, pour le clamer haut et fort : en matière de sécurité, il ne peut y avoir ni quartiers abandonnés, ni ruralités délaissées. La République, partout, doit veiller sur les siens. Nous devons proposer un modèle de sécurité qui tienne cette promesse d’égalité tout en s’adaptant aux réalités du terrain. Il y a urgence. Il nous faut combattre, en effet, une délinquance devenue protéiforme, qui touche désormais tous les territoires, et génère un sentiment d’insécurité massif. Réinventer la sécurité, c’est aussi agir sur les fragmentations de la société française, sur les tentations de repli sur soi qui participent à la montée de l’extrême-droite. Ce nouveau modèle doit, enfin, restaurer un lien de confiance aujourd’hui fragilisé entre la police et une partie des Français : ceux qui s’en méfient et ceux qui ne croient même plus utile d’y faire appel, tant elle est sur-sollicitée. A quoi ressemblerait ce modèle ? Nous ne pouvons pas laisser la droite et l’extrême droite imposer leur vision, discriminante et réactionnaire, de ce qui est au fond, le premier devoir de la puissance publique. Le parti socialiste doit porter une vision décentralisée et rééquilibrée du continuum de sécurité, et les maires doivent en être la pierre angulaire. Il faut officialiser le rôle que le maire remplit déjà, au cœur de l’animation, de la coordination et de l’impulsion des politiques de sécurité. Les pouvoirs de police du maire prennent leurs racines dans la Révolution Française et la loi de 1790, et ils ont été consolidés ensuite par la loi de 1884 sous la IIIe République. Aujourd’hui, le maire détient des pouvoirs administratifs qui lui donnent autorité sur sa police municipale pour mener des missions de sécurité, de tranquillité et de salubrité publiques. Il est officier de police judiciaire, en lien direct avec le procureur de la République, et par ce statut, il concourt à l’exercice des missions de sécurité publique et de prévention de la délinquance. Agent de l’Etat, en prise quotidienne avec la réalité de son territoire et de ses administrés, il est le centre de gravité naturel de la politique de sécurité, et doit être reconnu comme tel. Si l’on reconnaît le maire comme pierre angulaire de la politique de sécurité, une autre conviction émerge : la police municipale, sous son autorité, est la seule à pouvoir incarner la police de proximité que les socialistes défendent depuis plusieurs décennies. Le développement des polices municipales était déjà encouragé par le socialiste Gilbert Bonnemaison dans son rapport de 1982. La loi Chevènement de 1999 a permis à ce modèle de se professionnaliser, au point de faire école à l’échelle métropolitaine. Aujourd’hui, les policiers municipaux sont identifiés comme les gardiens de la tranquillité publique, assurant une présence visible et dissuasive dans l’espace public. Les polices municipales ont été en première ligne pendant la crise sanitaire, pendant les Jeux Olympiques et Paralympiques, aussi, à Paris comme à Saint-Denis. Dans notre ville, ce sont les agents de la police municipale qui assurent les services du centre de supervision urbaine, connaissent les rues par cœur, instaurent des liens de confiance mutuelle avec les habitants qui la croisent au quotidien. La proximité ne s’invente pas, elle se construit grâce aux hommes et aux femmes qui sont là tous les jours, quoiqu’il arrive : ce sont les policiers municipaux, davantage que les policiers nationaux, qui peuvent créer cette relation. Très souvent, ils sont les primo-intervenants pour lutter contre les incivilités, mais aussi porter assistance et secours. Ce sont aussi eux qui agissent au quotidien auprès des commerces, sur des sujets d’hygiène, d’habitat indigne : leur champ d’action est vaste, et touche à toutes nos problématiques quotidiennes. Il faut donner les moyens aux polices municipales de jouer pleinement ce rôle de premier contact. Depuis que nous avons rendu la police municipale joignable 24h/24h, 7 jours sur 7 à Saint-Denis il y a un an, celle-ci a reçu 17 000 appels, contre 239 en 2018. Pas parce que les besoins ont augmenté, mais parce que les habitants savent que désormais, s’ils appellent, quelqu’un leur répondra et se déplacera. Ce n’est pas encore le cas partout, malheureusement. Et quand bien même, ce ne serait pas suffisant. Car il faut non seulement être disponible, mais aussi avoir la capacité d’agir. 40 ans après le rapport Bonnemaison, la 3e force de sécurité intérieure reste démunie face aux nouvelles formes de délinquance, entravée par un cadre normatif inadapté et obsolète. Trop souvent, on demande à la police municipale de compenser les défaillances d’une police nationale débordée, mais on lui demande de le faire sans outils et sans marges de manœuvre suffisantes. En tant que maire, cette incohérence est difficile à expliquer à des habitants. Comment justifier, par exemple, que les policiers municipaux ne puissent pas constater par procès verbal des infractions aussi courantes que la vente à la sauvette ou la conduite sans permis ? Comment expliquer qu’ils ne puissent pas procéder aux dépistages d’alcoolémie ou de stupéfiants, ni même verbaliser un individu pour ivresse sur la voie publique, sans attendre l’aval de la police nationale ? Il faut actualiser le cadre légal et réglementaire, afin de renforcer les prérogatives de la police municipale, et de lui permettre de jouer pleinement et efficacement son rôle de police de proximité. Cette actualisation doit élargir leur champ de compétences, sans toutefois les ensevelir sous le travail administratif, ce qui aurait l’effet inverse et les enfermerait dans des bureaux au lieu de les déployer dans nos rues. Cela nécessite de dépasser les réticences trop souvent principielles et de permettre à chaque maire de prendre des décisions adaptées à la réalité du terrain. Le débat sur l’armement des polices municipales illustre bien la nécessité de laisser les maires évaluer les enjeux de leur ville : à Saint-Denis, armer les policiers municipaux avait du sens et nous l’avons fait, de façon strictement encadrée. Il ne faut donc en faire ni un tabou ni une obligation. Une politique de sécurité locale bien menée devrait élargir les compétences des policiers municipaux de façon proportionnelle, en associant ces responsabilités nouvelles à des garanties strictes de formation et de déontologie. L’Etat doit accompagner cette montée en puissance des polices municipales. Sans abandonner ses compétences propres, ce qui serait impossible, il doit accepter de les partager plus amplement et de se repositionner dans un rôle de régulateur. Pour être efficace, ce nouveau modèle de coproduction doit renforcer les synergies entre l’Etat et les maires dans un objectif commun : la protection des Françaises et des Français. Cela implique de sortir d’une conception actuellement très verticale, pour repenser la gouvernance locale de sécurité. Il faut réviser le cadre contractuel en vigueur, qui régit les rapports entre l’Etat et les polices municipales. Cette discussion doit avoir lieu sur un pied d’égalité pour déterminer une répartition des rôles qui permette des réponses coordonnées et adaptées aux réalités locales. Nous devons absolument décentraliser la « fabrique de la sécurité » pour laisser plus de place et de crédit à l’intelligence locale, mais aussi pour renforcer la complémentarité du travail entre les forces de sécurité nationale et municipale. Cette évolution répond parfaitement au principe de mutabilité d’un service public : la sécurité n’implique plus les mêmes moyens ni les mêmes réponses qu’il y a 50 ans, il faut donc pouvoir l’assurer autrement. La mutation doit d’abord passer par un soutien massif de l’Etat au recrutement d’effectifs de police municipale. A Saint-Denis, nous avons triplé nos effectifs depuis 2020, mais l’effort budgétaire, bien qu’assumé, n’a pas été simple. Dans d’autres communes, il est tout bonnement inenvisageable de se doter d’une police municipale crédible, faute de moyens. L’Etat doit soutenir activement des effectifs renforcés de police municipale et, dans le même temps, résorber le déficit des effectifs de police nationale, dans les communes qui en ont le plus besoin, car l’offre d’une présence policière adaptée ne pourra jamais reposer sur les seules collectivités. C’est dans ce cadre plus horizontal, avec des effectifs renforcés, que nous pourrons élargir les prérogatives des polices municipales, en particulier en matière de verbalisation, de surveillance et de rétention. Autoriser la confiscation de matériel. Afin de lutter plus efficacement contre les infractions qu’elle observe sur le terrain, la police municipale devrait être habilitée à procéder à la confiscation du matériel servant à commettre ces infractions, ainsi qu’à l’immobilisation des véhicules. Cette hypothèse pourrait être envisagée à périmètre constant de compétences pour les polices municipales, mais, à défaut, elle pourrait aussi être étudiée à titre expérimental, conformément aux possibilités de dérogation ouvertes par la Constitution. OPJ-iser, ou dé-délictualiser ? Une difficulté fréquemment évoquée par les policiers municipaux concerne, nous l’avons dit, l'obligation de solliciter la présence d’un officier de police judiciaire (OPJ) et de retenir le contrevenant jusqu’à son arrivée sur les lieux en cas de refus de présenter une pièce d’identité. Or, dans de nombreux cas, l’OPJ est dans l’impossibilité de se déplacer. Cette situation est frustrante pour les policiers, mais également pour les habitants, qui y voient une défaillance dans l’organisation des moye ns de la sécurité du quotidien. La première piste possible, c’est l’« OPJ-isation » de certains effectifs de police municipale, en particulier les chefs de service et/ou des directeurs, qui seraient alors placés sous la double tutelle du Parquet et du maire. Cette solution permettrait aux policiers municipaux de solliciter un OPJ parmi leurs rangs, qui serait consacré pleinement à leurs missions de sécurité du quotidien. Une seconde piste consisterait à dé-délictualiser certaines infractions afin de permettre aux polices municipales de les constater et d’en dresser un procès-verbal. Cela pourrait être envisagé, par exemple, en matière de vente à la sauvette. Quelle que soit l’option choisie, un dialogue serein doit avoir lieu afin d’envisager une nécessaire évolution du droit. De la même manière, les policiers municipaux devraient être autorisés à aller au-delà de la constatation et de la verbalisation dans certains de leurs champs d’intervention. Dans un rapport rendu au ministre du logement en octobre 2023, nous proposions, par exemple, de donner des pouvoirs d’enquête judiciaire aux policiers municipaux pour mieux lutter contre l’habitat indigne, sur réquisition du procureur, dans les territoires les plus concernés par ce fléau. Cette proposition doit être, à présent, retranscrite dans le droit si nous voulons lutter efficacement contre les marchands de sommeil. Contrôler, évaluer. Contrepartie de cet accroissement de leurs prérogatives, les policiers municipaux devraient, bien entendu, faire l’objet de contrôles renforcés de la part d’un organe national indépendant. Ce contrôle, qui nous semble avoir tout son sens dans les grandes villes où les polices municipales sont les plus puissantes, pourrait, par exemple, se traduire par l’instauration d’un déontologue chargé de superviser l'indépendance des procédures judiciaires engagées par les agents de police municipale ainsi que leur action en direction de la population. Simplifier les modalités d’actions. Au-delà de l’élargissement de leurs prérogatives et de leur champ d’action, pour que les policiers municipaux remplissent pleinement leurs fonctions, leurs modalités d’intervention doivent aussi être simplifiées. Pour certaines missions et dans un cadre légal clair, ils devraient notamment avoir la possibilité d’exercer en civil, à l’instar des agents de sûreté dans les transports en commun. Ils devraient aussi pouvoir procéder, lorsque cela est nécessaire à la constatation d’une infraction, à l’inspection visuelle des coffres de voitures et des bagages. D’autre part, les agents de police municipale peuvent aujourd’hui demander une pièce d’identité s’ils constatent une infraction dans le champ contraventionnel, mais en cas d’absence de pièce ou de refus de la présenter, ils doivent appeler l’OPJ et lui demander son aval pour l’emmener au commissariat. Si l’OPJ est indisponible, le rapport d’infraction est rédigé à partir d’une identité déclarée, mais pas relevée, et le contrevenant est relâché. Pour fiabiliser ces procès-verbaux, les policiers municipaux devraient avoir le droit d’exiger une pièce d’identité valide, sans passer par un OPJ. Les accès à certains fichiers leurs sont encore fermés, ou partiellement ouverts – c’est-à-dire qu’il est nécessaire de faire appel à l’OPJ pour les consulter. C’est notamment le cas des fichiers des objets et des véhicules disparus (FOVeS), et des véhicules assurés (FVA). Pourtant, les polices municipales sont bien placées pour vérifier immédiatement si un véhicule est volé ou signalé, ou s’il n’est pas assuré. Un accès direct à ces fichiers paraît donc tout aussi légitime. Même quand la police municipale a un accès direct aux fichiers, elle doit remplir des demandes d’accès individuelles pour chaque agent, qui prennent énormément de temps à obtenir, et sont payantes. Il faut absolument simplifier ce processus en permettant aux villes de gérer ces autorisations en interne. Un grand pouvoir impliquant de grandes responsabilités, l’élargissement de ces prérogatives doit être accompagné d’investissements massifs dans la formation des agents de police municipale. Contrairement à la police nationale, qui peine souvent à remplir ses obligations en matière de formation continue, nous veillons, à Saint-Denis, à ce que chaque agent municipal les respecte rigoureusement, en particulier en matière d’entraînements réguliers au maniement des armes, pour les agents qui y sont habilités. Ces efforts permettent à nos policiers municipaux d’être tout autant, voire mieux formés que leurs homologues nationaux sur leur périmètre d’intervention. Si nous voulons accélérer et renforcer la formation, le recrutement de nos policiers municipaux doit cependant être fluidifié et renforcé. Plusieurs pistes pourraient, selon nous, être étudiées. D’une part, la durée entre le recrutement par la municipalité et le début de la formation initiale devrait être réduite afin d’assurer au plus vite la présence d’effectifs qualifiés sur le terrain. D’autre part, la formation initiale pourrait être complétée afin d’intégrer un enseignement en médiation sociale et en gestion des conflits. La déontologie de la sécurité doit être le fil rouge de cette formation afin d’accompagner sereinement le déploiement des prérogatives nouvelles que nous appelons de nos vœux. Investir intelligemment, c’est aussi investir dans des équipements qui donnent des résultats : c’est le cas de la vidéoprotection. Le recours aux caméras est, à Saint-Denis, un point de divergence entre l’actuelle majorité municipale et la majorité communiste qui l’a précédée. En quatre ans, nous sommes passés de 90 à 500 points de vue sur l’espace public. Utilisée correctement, avec un encadrement strict, la vidéoprotection est efficace et nous devons être capables d’avoir un dialogue serein sur ce sujet. Les caméras sont dissuasives, les images produites sont régulièrement sollicitées pour la poursuite d’enquêtes judiciaires et elles permettent aux agents de constater les infractions en temps réel, notamment après un appel d’habitant. Ces quelques pistes de réflexion doivent converger vers une même idée : donner aux polices municipales, dans un cadre à la fois strictement encadré et adaptable, les moyens de réagir aux problématiques spécifiques de leur commune. Il nous faut plus de moyens, plus d’horizontalité et plus d’outils pour construire une politique locale de sécurité à la hauteur des défis de la France d’aujourd’hui. Le changement de modèle que nous proposons demanderait un vrai effort à l’administration de la police nationale, aujourd’hui hyper-hiérarchique et hyper-centralisée, mais il en vaut la peine. Il doit être défendu par les socialistes, qui sont présents au quotidien sur le terrain et qui connaissent ses réalités. La droite cherche à nous taxer de laxisme et d’angélisme : ne la laissons pas faire. Les élus locaux de gauche ont toujours été en première ligne pour assurer la sécurité, il faut désormais leur donner les moyens d’agir, au lieu de les laisser vider l’océan à la petite cuillère. Dotons-nous d’un modèle qui tienne compte de leurs réalités, car à nier la diversité des territoires, on met en cause le droit à la sécurité, qui lui, est universel.
Saint-Denis Ps a publié cette page dans Sécurité et prévention de la délinquance
déc 13, 2024 @ 17h29