La sécurité – ou plutôt la crainte de l’insécurité- s’est imposée au cours des dernières années comme l’une des préoccupations majeures de nos concitoyens. En septembre 2024, une enquête Ipsos révélait ainsi que les inquiétudes liées à criminalité et à la violence constituait la préoccupation principale des Français (35%) devant l’inflation (33%) et la pauvreté et les inégalités (28%). Comment ne pas y voir un paradoxe, alors même que le niveau de violence et de criminalité dans notre pays n’a jamais été aussi bas. Le taux d’homicide a été divisé par deux entre 1993 et 20221, et, si le taux de plaintes déposées pour coups et blessures a pu connaître une relative augmentation au cours des dernières années, celle-ci doit être replacée dans son contexte, à savoir une augmentation de la criminalisation de ce type d’actes et une meilleure prise en compte des violences faites aux femmes, dans le cadre notamment des rapports conjugaux, faits pour lesquels un dépôt de plainte était presque inenvisageable dans les années 1980. Alors non, la société française ne connaît ni montée en flèche de la violence, ni « ensauvagement ». Seulement voilà, le sentiment d’insécurité progresse. Comment l’expliquer ? D’abord, il est une réalité qui s’impose à nous : à l’heure des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu, chaque fait divers, autrefois cantonné à sa rubrique dans les feuilles de choux locales, est aujourd’hui devenu sujet d’actualité, au détriment de la qualité de l’information et d’une analyse des faits qui se passe trop souvent de leur contextualisation. Ensuite, il convient de mettre en perspective ce sentiment d’insécurité avec une autre tendance qui semble aller grandissante : le désir d’autorité. Dans une enquête de 2023 sur les rapports des Français avec la police et l’autorité, l’IFOP relevait ainsi qu’une large majorité de sondés (85%) adhérait à l’affirmation selon laquelle « l’autorité est une notion qui se perd en France de nos jours ». Une tendance qui semble se confirmer lorsqu’on la met en perspective avec les sujets d’actualités connexes : 70% des Français sont ainsi favorables à l’uniforme à l’école (dont 59% des électeurs de la NUPES – enquête YouGov d’octobre 2023), 65% (et 58% des moins de 35 ans) sont favorables au retour d’un service militaire obligatoire (sondage CSA de mars 2024). Pour autant, il paraît illusoire que ces solutions aient le moindre impact sur la prévention de la délinquance : l’uniforme à l’école n’est en rien un rempart au harcèlement scolaire, et la caporalisation des jeunes générations n’a jamais permis de les empêcher de tomber dans la délinquance. Devant ce constat, notre responsabilité nous impose de nous garder de tout angélisme ou mépris à l’égard de ce ressenti, mais en ne cédant rien aux fantasmes réactionnaires qui tendent à présenter notre pays comme une gigantesque zone de non-droit dans laquelle fleuriraient les « territoires perdus de la République ». A notre sens, la progression du sentiment d’insécurité doit être replacée dans un contexte global de disparition des services publics, une réalité d’autant plus criante dans les territoires ruraux. 1 https://www.observationsociete.fr/modes-de-vie/divers-tendances_conditions/evolution-homicides/ Dans notre département, l’Ardèche, qui dépend majoritairement des zones Gendarmerie, 6 brigades ont ainsi été supprimées entre 2013 et 2023, remplacée notamment par une « brigade territoriale de contact », dont le périmètre d’intervention très étendu est un frein à la présence effective de gendarmes sur le territoire. Sur la Haute Ardèche, ce sont ainsi 21 communes pour 4.000 habitants et 580Km² qui sont couvertes par ce dispositif comprenant un camping-car et une brigade mobile de 2 à 4 gendarmes. S’il est évident que les territoires ruraux ne connaissent pas les mêmes problématiques en matière de sécurité que les territoires urbains, et plus encore métropolitains, la délinquance y est pourtant présente sous d’autres formes : cambriolages, violence routière, trafic de drogue, violences faites aux femmes. La mise en oeuvre de la territorialisation des compétences des polices ne facilite pas la tâche dans la mesure où, sur un même territoire, doivent se coordonner gendarmeries, police nationale et polices municipales ou intercommunales. Cette confusion des rôles, couplée au manque de moyens humains sur le terrain accentue le sentiment d’insécurité dans la mesure où un acte aussi banal que le dépôt d’une plainte se transforme en véritable parcours du combattant qui allie redirection de service en service (de la Gendarmerie vers la Police et vice-versa) au trop faible niveau d’ouverture des casernes de gendarmeries et de certains commissariats. Le désengagement massif de l’Etat a par ailleurs poussé les Maires à agir, voire parfois à se substituer à lui. On le remarque d’ailleurs dans l’inflation de l’installation de systèmes de vidéoprotection, et notamment dans des communes tenues par la Gauche, mais aussi dans la montée en puissance des effectifs de police municipale qui, bien souvent, sont appelés à « aller au contact » plutôt qu’à assurer leur mission de prévention, en témoigne l’armement de plus en plus fréquent de ces agents, y compris dans les petites et moyennes communes (c’est notamment le cas en Ardèche sur la commune de La Voulte – moins de 5.000 habitants). Ce faisant, ce sont les dernières polices de proximité qui disparaissent au profit de polices dont l’action est toujours plus centrée sur l’intervention et l’appréhension du flagrant délit. Loin de répondre aux besoins des habitants (présence policière, réactivité, confiance réciproque), cette dynamique renforce la perte de confiance qui s’opère entre une population désabusée par le manque de présence policière et d’une police dont les missions se centralisent toujours plus vers une logique du tout-répressif. Cet état de fait appelle en premier lieu une meilleure coordination des acteurs des politiques de sécurité qui réaffirme le rôle central des politiques de prévention au premier niveau, assurée en priorité à l’échelon local que ce soit par l’affirmation du rôle de police de proximité dévolu aux polices municipales, mais aussi par une meilleure coordination des acteurs divers de la prévention, hors forces de l’ordre. Par exemple, les services de prévention spécialisée, qu’ils soient départementaux ou municipaux, ne comptent en France que 3.000 éducateurs de rue, dont le rôle est pourtant central puisqu’ils interviennent tant en matière éducative, que de médiation sociale. Rattachés aux conseils départementaux au titre de l’exercice des compétences d’actions sociale, la prévention spécialisée fait souvent office de parent pauvre des politiques sociales : leur financement est fondamentalement dépendant du volontarisme des conseils départementaux, en témoigne dans notre département la tentative avortée de la majorité départementale LR de les suspendre à l’été 2021. En second lieu, si la tentation de défendre des politiques de sécurité publique toujours plus décentralisée est forte, notamment eu égard au recul de l’Etat central en la matière, nous craignons que celle-ci ne contribue, in fine, à accroître les inégalités territoriales : en Ardèche, 70% des communes comptent moins de 1.000 habitants, et aucune d’entre elles ne peut se permettre le coût de recrutement d’agents de police municipale. En outre, la géographie du territoire rend difficile la mise en place de services intercommunaux dont l’étendue du périmètre d’intervention nuirait forcément à l’efficacité. En outre, déléguer aux Maires plus de compétences qu’ils n’en exercent déjà, c’est également prendre le risque de dérives liées à l’instrumentalisation des politiques de sécurité publique. Dans un contexte de montée en puissance politique de l’extrême-droite, même à l’échelon local, l’on imagine facilement les usages qui pourraient être fait d’une croissance de l’arsenal répressif confié aux Maires. La contractualisation proposée en 2021 par le Premier Ministre Castex (contrats de sécurité intégrée) dans le « continuum de sécurité » avait le mérite de permettre une approche différenciée des dotations en effectifs en fonction des besoins territoriaux identifiés. Toutefois, en en limitant l’étendue aux seules grandes agglomérations et surtout, en faisant peser lourdement sur les finances locales le coût de ces dispositifs, l’outil contractuel proposé par le Gouvernement s’est vu dévoyé de sa fonction première, à savoir, permettre une coordination réciproquement profitable entre Etat central et collectivités locales. Pour autant, cette approche différenciée nous paraît revêtir un certain intérêt : elle pourrait permettre de mieux cibler les besoins en effectifs en fonctions des caractéristiques territoriales. Ainsi, le département de l’Ardèche ne compte que 330.000 habitants, mais accueille des pics de fréquentation périodique s’étalant jusqu’à 530.000 personnes par jour, en raison des déplacements liés à l’activité professionnelle (Vallée du Rhône) et le tourisme estival. La flexibilité de l’outil contractuel permettrait en la matière d’obtenir des renforts épisodiques et localisés qui ne tiennent pas simplement compte de la population globale couverte mais des besoins identifiés. Mais, il est à craindre qu’en l’absence de recrutements massifs et d’une formation accrue des agents des forces de l’ordre, ces approches fassent l’effet d’un pansement sur une jambe de bois. Nos concitoyens, et parmi eux, les plus modestes qui n’ont pas les moyens de recourir aux outils de sécurité privée (portails, alarmes etc) ou d’assurer efficacement l’ensemble de leurs biens, sont en droit d’exiger un service public de sécurité de qualité, suffisamment doté, aux agents formés au contact avec les populations. C’est le gage d’un contrat social qui permette le respect mutuel entre forces de l’ordre et administrés. Ce constat doit également appeler de notre part une vraie politique de protection des citoyens à l’égard des discriminations qui peuvent être opérées par certains agents des forces de l’ordre, notamment à l’égard des personnes racisées. A cet effet, nous préconisons de réfléchir à la mise en oeuvre de mesures de contrôle des discriminations potentielles : mise en place de référents « discriminations » dans tous les commissariats et casernes de gendarmerie et d’une logique de délivrance de récépissés lors des contrôles d’identité, ce qui permettrait de documenter et d’éviter les contrôles au faciès. Enfin, prévenir la délinquance, c’est aussi repenser notre rapport aux politiques de la Ville, à l’aménagement du territoire, à l’accompagnement à la parentalité, à l’éducation. Rappelons à cet effet que la sécurité du quotidien c’est aussi, et avant tout, la Sécurité Sociale, la sécurité de l’emploi, la sécurité des droits. Tant de chantiers largement négligés par les gouvernements depuis 2017. Tant d’enjeux que nous pourrions résumer par une idée : le socialisme. Nos propositions : - Rétablir une présence policière réelle en tous points du territoire, et particulièrement dans les territoires ruraux, désertés par les services publics - Assurer une meilleure coordination territoriale entre zones police et zones Gendarmerie dans les territoires ruraux afin d’optimiser l’efficacité des enquêtes et d’assurer l’accès au « guichet sécurité » pour les plaignants - Limiter l’inflation de l’action municipale en matière de politiques de sécurité : les polices municipales n’ont pas vocation à se substituer aux effectifs nationaux manquants, ni à endosser leurs prérogatives (intervention, enquête) - Réhabiliter la police de proximité en recentrant l’action des polices municipales autour des missions de prévention et de désamorçage des conflits - Prendre en compte non pas la seule population départementale dans l’attribution des effectifs nationaux (gendarmeries comme police nationale) mais également les pics de population quotidienne identifiés sur les territoires, comme savent le faire les SDIS - Mettre en oeuvre de nouveaux dispositifs de contractualisation entre Etat et collectivités qui permettent d’assurer la complémentarité entre prévention à l’échelon local et intervention par les effectifs nationaux - Renforcer les dispositifs de prévention de la délinquance hors giron sécuritaire et pérenniser leurs moyens par des dotations de l’Etat : Prévention spécialisée, éducs spé etc. - Lutter contre les discriminations par : o La création de référents formés aux discriminations (qu’elles soient ethniques, religieuses, de genre, ou liées à l’orientation sexuelle) o Mettre en place la délivrance de récépissés lors de contrôles d’identités pour s’assurer que les justiciables ne soient pas victimes de contrôles au faciès
Fédération PS Ardèche a publié cette page dans Sécurité et prévention de la délinquance
déc 9, 2024 @ 15h39