Section du 14e arrondissement de Paris – Pierre Castagnou POUR UNE JUSTICE PÉNALE EFFICACE ET HUMAINE Occulté ces dernières années par l’illusion d’une hausse de la délinquance contre les personnes et les biens, le développement de la « grande délinquance » menace aujourd’hui le fondement de nos institutions sécuritaires et appelle à une mobilisation sans précédent. Le problème généré par le crime organisé appelle des réponses fortes qui devront s’inspirer des dispositions prises à partir de 2015 pour lutter contre le terrorisme. Si, en matière judiciaire et policière, la voie est tracée (renforcement de l’Office anti-stupéfiants, création d’un parquet spécialisé et de juridictions spécialisées), la question de la peine reste à traiter. Les conditions dans lesquelles les peines s’exécutent et le fait que de grands criminels puissent poursuivre leurs exactions depuis les lieux de détention interrogent : de l’évasion qui a provoqué la mort de deux agents de l’administration pénitentiaire en mai 2024 à l’assassinat d’un chauffeur de VTC par un enfant de 14 ans, assassinat commandité par un détenu depuis sa cellule du quartier d’isolement, les exemples de faille en la matière se multiplient. Dans un souci d’humanité qui doit être la marque de fabrique d’une politique pénale portée par la gauche, la recherche d’efficacité ne peut être dissociée d’une réflexion sur les conditions de détention. Mettre en œuvre une politique ferme de lutte contre la grande délinquance sous toutes ses forme passe donc aussi par le règlement définitif du problème de la surpopulation carcérale. 1° Lutter contre la grande délinquance Le crime organisé et le narcotrafic La lutte contre le crime organisé peut s’inspirer de ce qui existe en Italie en matière de conditions d’incarcération des membres de la mafia (article 41-bis de la loi pénitentiaire italienne de 1992). Le principe est que les quartiers dans lesquels les mafieux sont incarcérés sont des quartiers totalement étanches au sein desquels il est impossible que tout objet illicite ne pénètre (notamment les téléphones portables). Les mesures à mettre en œuvre sont les suivantes : 1. identifier des quartiers spécifiques totalement isolés du reste de la détention alors qu’aujourd’hui les quartiers d’isolement en France sont très souvent couplés au quartier disciplinaire, ce qui empêche le personnel pénitentiaire d’être complètement mobilisé sur sa mission de surveillance des détenus appartenant au crime organisé ; 2. former le personnel affecté dans ces quartiers, qui doit être volontaire à la connaissance des réseaux et des méthodes du crime organisé et à l’utilisation du matériel de sécurité, notamment face au risque de corruption ; 3. doter ces quartiers de moyen de brouillage des communications totalement efficaces et de portiques à onde millimétrique. Il est nécessaire par ailleurs de sécuriser les sorties de ces criminels : 4. modifier la loi pour développer la mise en place de visio-conférence depuis les établissements ; 5. favoriser les déplacements des magistrats pour des audiences au sein des prisons ; 6. engager la réflexion sur la mise en œuvre d’une police pénitentiaire telle qu’elle existe en Italie. Depuis 2010 et le transfert d’un certain nombre de mission traditionnellement dévolues aux forces de l’ordre vers les agents pénitentiaires (comme l’acheminement des détenus vers les palais de justice), les personnels assurent de plus en plus de missions sur la voie publique. Le drame du péage d’Incarville en mai 2024 a montré la nécessité de doter le ministère de la justice de moyens équivalents à celui des forces de l’ordre. Le terrorisme De l’affaire Merah aux attentats ayant endeuillé la France en 2015, c’est la gauche qui a su réagir efficacement à l’émergence du terrorisme islamiste en place en impulsant une politique judiciaire et pénitentiaire salué, une fois n’est pas coutume, par les instances européennes : 7. en continuant de développer les quartiers d’évaluation, puis de prise en charge, pour assurer un réel suivi de ces publics et offrir des alternatives au basculement dans la radicalisation violente ; 8. en améliorant les prises en charge en milieu ouvert, alors que bon nombre de radicalisés arrêtés il y a une dizaine d’années sont ou vont sortir de prison et il y a urgence à renforcer les services en charge de leur suivi. La délinquance économique et financière Le parquet national financier est une création du gouvernement socialiste. Dans le contexte budgétaire actuel, le renforcement de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale est une question de justice sociale. Il est nécessaire de : 9. renforcer les moyens et la formation des services enquêteur au niveau policier ; 10. renforcer les moyens et la formation des magistrats en charge de ces dossiers. 2° Régler de manière définitive le problème de la surpopulation carcérale. La France a fait l’objet de 20 condamnations de la part de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) sur la question de la surpopulation carcérale. Dans son dernier arrêt, la CEDH qualifie ce problème de « structurel ». Il s’agit donc bien d’un enjeu de politique pénale. La justice en France n’est pas laxiste : il suffit d’assister à une audience de comparution immédiate pour s’en convaincre. La situation est aujourd’hui intolérable, particulièrement dans les maisons d’arrêt où le taux d’occupation atteint 150%. Débordés (plus de 50 000 téléphones portables ont été saisis en 2023 dans les prisons françaises), les services pénitentiaires sont dans l’incapacité de remplir leur mission tant sur le plan sécuritaire qu’en ce qui concerne la prévention de la récidive. Ce sentiment d’impuissance est renforcé par les profils des détenus dont on estime qu’un tiers relève de la psychiatrie. La régulation carcérale est un échec car aucun mécanisme de contrainte ne vient l’accompagner. Nous proposons donc : 11. l’instauration d’un numerus clausus à l’instar de ce que certains pays européens ont mis en place (Scandinavie, Allemagne). Chaque établissement se voit définir un seuil critique en fonction de facteurs nationaux (jurisprudence administrative et européenne) ou locaux (implantation géographique et tissu partenarial). Une fois ce seuil atteint, toute nouvelle incarcération ne pourra intervenir que si une place est libérée (sortie anticipée pour un condamné avec mise en œuvre d’un suivi en milieu ouvert) ; 12. limiter le recours à l’incarcération en sensibilisant les magistrats à l’exécution des peines, notamment en comparution immédiate. Il est également nécessaire de favoriser le prononcé des peines alternatives dès la phase de jugement. 13. renforcer la confiance dans les peines qui s’exécutent en milieu ouvert et qui doivent être garanties par un suivi plus strict qu’aujourd’hui. Les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) en charge de cette mission doivent être rassemblés sous l’égide d’une agence nationale de la probation. Les SPIP suivent en dehors des prisons plus de 200 000 personnes pour 80 000 détenus ; 14. les plans de construction massive de places ne doivent plus être considérés comme l’alpha et l’oméga de la politique pénale. La France en a élaboré 6 en 30 ans et ils n’ont jamais constitué la réponse efficace à la surpopulation. Sachant que la construction d’une place de prison coûte 120 000 euros, on comprend qu’il est préférable de consacrer une partie de ces sommes au recrutement de personnel en charge du suivi des détenus ; 15. développer les modules de respect, dispositif initié par l’Espagne au début des années 2000. Le principe repose sur une plus grande autonomie aux fins de socialisation (comme Robert Badinter s’en est fait le promoteur entre 1981 et 1986). Les détenus sont volontaires pour intégrer une telle structure, ils participent activement à la vie du bâtiment à travers des commissions qui rythment le quotidien et dans lesquelles siègent aussi les personnels. En contrepartie ils s’engagent à respecter le règlement intérieur (pas d’insulte, de violence, d’usage de drogue ou d’utilisation de téléphone portable notamment) sous peine d’exclusion du module. En France seule une cinquantaine d’établissements sur les 190 prisons que compte le territoire possède un quartier de ce type. En Espagne les deux tiers des détenus évoluent dans des modules de respect. On constate que les prisons espagnoles figurent au rang des prisons les moins violentes en Europe, la réalité étant toute autre chez nous.
![Chloé Battault](https://res.cloudinary.com/nationbuilder/image/twitter/w_73,h_73,c_fill/4201726875.jpg)
Chloé Battault a publié cette page dans Sécurité et prévention de la délinquance
déc 10, 2024 @ 16h53