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Interview

Salaire de Carlos Tavares : «Qui peut prétendre valoir 518 fois ce que vaut son salarié moyen ?»

Après que les actionnaires de Stelantis ont validé une très forte hausse de salaire de leur PDG, les socialistes ont déposé ce mardi 16 avril une proposition de loi pour limiter les écarts de rémunération de 1 à 20 dans les entreprises. Une question de «décence commune» explique le président du groupe PS Boris Vallaud à «Libé».
par Sacha Nelken
publié le 16 avril 2024 à 17h20

36,5 millions d’euros sur une année soit pas moins de 100 000 euros par jour. Ce mardi 16 avril, le conseil d’administration de Stellantis a validé à 70 % des voix la rémunération en forte hausse du directeur général Carlos Tavares. Indécent pour une part importante de la classe politique et notamment la gauche mais pas plus que ça pour l’intéressé. «C’est une dimension contractuelle entre l’entreprise et moi. Comme pour un joueur de foot et un pilote de Formule 1, il y a un contrat», a-t-il justifié auprès de BFM Business. Le chef d’entreprise s’est d’ailleurs laissé aller à une petite provocation en lançant : «si vous estimez que ce n’est pas acceptable, faites une loi».

Qu’à cela ne tienne. L’insoumis Matthias Tavel a annoncé le dépôt d’une proposition de loi «pour fixer un salaire maximum dans les entreprises, en limitant à 20 les écarts entre la plus grande rémunération et le plus petit salaire». Idem pour les socialistes. Le groupe PS a ressorti du placard un texte déposé en 2020 allant également dans ce sens. Pour le président du groupe rose à l’Assemblée Boris Vallaud, le moment est venu pour le législateur de s’emparer de la question de la répartition des richesses en entreprise.

Le PDG de Stellantis Carlos Tavares devrait toucher un salaire de 36,5 millions d’euros. Qu’est-ce que ça dit de l’époque ?

Ça dit de l’époque, qu’il y a une petite poignée de gens qui ont perdu contact avec le monde réel et qui sont dans une forme de sécession avec celui-là. Qui peut prétendre, quel que soit son talent, quel que soit son mérite, valoir 518 fois ce que vaut en moyenne son salarié ? L’année dernière, Carlos Tavares aura gagné en une journée plus que ce que son salarié aura gagné en moyenne en un an… Il y a en fait une forme de déraison, de déconnexion, à la fois éthique, économique et environnementale. C’est d’autant plus choquant quand on sait qu’il y a tant de gens qui n’arrivent pas à boucler leur fin de mois.

Comment changer cela ?

Si on veut retrouver une forme de décence commune, il faut s’attaquer non seulement à la distribution secondaire, mais aussi à la distribution primaire. C’est-à-dire à la répartition de la richesse dans l’entreprise, entre le capital et le travail mais aussi entre les travailleurs eux-mêmes. Pour cela, nous proposons de limiter les écarts de rémunération de 1 à 20. C’est ce que propose l’ensemble des organisations syndicales d’Europe, en se disant que dans une entreprise qui est une communauté de travail, personne ne peut prétendre à une réussite qui ne serait que personnelle. On a besoin d ‘une répartition plus juste et de faire primer les logiques industrielles sur les logiques financières. Il y a un désir de justice dans la société et dans l’entreprise. Une société plus juste est aussi une société plus créative et plus productive. Il y a donc de la place pour le législateur.

Justement, vous avez déposé une proposition de loi. Que contient-elle ?

Premièrement, nous proposons donc de limiter les écarts de rémunération de 1 à 20 dans les entreprises. Nous proposons aussi qu’au-delà d’un écart de 1 à 12, les rémunérations concernées et les cotisations qui y sont associées ne soient plus déductibles du calcul de l’impôt sur les sociétés. Notre texte vise également à imposer plus justement les hauts salaires en renforçant la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Aujourd’hui limitée au taux maximal de 4 % au-delà de 500 000 euros de revenus, celle-ci pourra désormais atteindre 15 % au-delà de 20 millions d’euros de revenus.

En quoi limiter les écarts de salaire profiterait aux plus démunis ?

Car cela permettrait une meilleure répartition de la richesse dans les entreprises. Il n’y a que 0,32 % des salariés qui, en France, touchent plus de 12 fois le SMIC mais si on redistribue ces sur-rémunérations, on pourrait augmenter de 233 euros net par mois les 20 % des salariés les plus modestes ou redistribuer 466 euros par mois aux 10 % des salariés du secteur privé les moins bien rémunérés. Depuis 2008, les rémunérations des très hauts revenus ont augmenté beaucoup plus vite que les très bas revenus. Ça ne peut plus continuer. C’est un non-sens sur le plan économique, sur le plan éthique, et sur le plan environnemental. Cela génère notamment des modes de vie incompatibles à la sauvegarde de la planète. Or, nous faisons un lien entre justice sociale et économie durable.

Carlos Tavares se défend souvent en se comparant aux footballeurs qui eux aussi gagnent plusieurs millions. Est-ce pertinent ?

Non. Il n‘y a pas de marché international des grands patrons, pas de lien établi entre ces rémunérations et la performance économique. D’autant que les PDG apprécient seuls leurs salaires dans une forme de connivence avec les principaux actionnaires parfois.

Avez-vous repéré un créneau pour l’examen de votre texte à l’Assemblée nationale ?

Nous allons interpeller nos collègues. Notamment ceux de la majorité pour savoir s’ils sont prêts à aller plus loin que les cris d’orfraies. Bruno Le Maire disait, il y a quelque temps qu’il était prêt à la publication des écarts de rémunération. Je dis encore un effort, Bruno !

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