Taxation et réflexions sur la politique des dividendes des actionnaires

Commission Europe : réflexions sur le partage de la valeur des entreprises Propositions : Taxer les rachats d’actions, mieux associer les salariés au partage de valeur de l’entreprise et interdire les rachats dans le secteur financier Différentes recherches académiques et professionnelles expliquent les problématiques qui entourent la question assez nouvelle en Europe des rachats d’actions propres des entreprises, puis leurs annulations. Le principe et les mécanismes : Les entreprises utilisent leurs liquidités, en théorie excédentaires mais cela peut aussi se faire en recourant à l’endettement, pour racheter leurs propres actions. Ce supplément de cash disponible est souvent généré par des politiques de réduction de coût, et en particulier des frais de personnel. Le poids des frais de personnel dans la valeur ajoutée n’a fait que diminuer sur toute la dernière période. Aujourd’hui ces montants sont élevés, 1300 Md$ dans le monde, et l’opportunité de cette pratique peut aussi être contestée au moment où l’ensemble des entreprises doit s’engager dans des investissements massifs en direction de la transition écologique. Est-il normal que dans les principaux acteurs de cette stratégie, on retrouve en France, des sociétés comme TotalEnergies et Stellantis ? Techniquement, ces actions sont rachetées puis annulées, ce qui diminue le nombre total des actions des sociétés. Considérant que la valeur de l’entreprise n’en est pas modifiée, le cours de bourse s’ajuste alors à la hausse. Dès lors, il s’agit bien d’une distribution supplémentaire, mais déguisée, de valeur aux actionnaires. L’autre effet est d’accroitre la financiarisation des entreprises avec une hausse de la rentabilité financière, calculée par le rapport entre le résultat net et les fonds propres. Le rachat et l’annulation entraînent une diminution du dénominateur d’où la hausse du ratio. Ce phénomène prend de l’ampleur et nous devons le réguler. Nos propositions : Cette montée de la financiarisation des entreprises en France et en Europe doit être combattue. C’est la raison pour laquelle le Parti Socialiste s’engage à réguler ces rachats d’actions et à rendre cette stratégie exceptionnelle. Notre proposition est double, afin de dissuader ces opérations, nous proposons de taxer les opérations de rachat d’actions à hauteur de 5% des montants rachetés. Par ailleurs nous souhaitons aussi l’interdiction de ces opérations dans le secteur financier, banques et assurances. En effet, ces opérations ont pour effet de réduire les fonds propres des établissements bancaires donc de faire baisser leurs ratios de solvabilité. Cette baisse est alors utilisée comme une justification pour refuser du financement alors que c’est précisément l’objectif social de ces sociétés. Ce renforcement des fonds propres permet aussi de rendre moins fragile le système bancaire lors des crises financières et d’éviter à la puissance publique de colmater les brèches. Nous proposons également l’association des salariés à cette stratégie afin de leur redistribuer une partie de la valeur créée par l’entreprise. Nous reprenons ici la proposition de Roland Perez et Elisabeth Walliser, Le Monde du 30/10/2022, qui énonce que « tout projet de rachat d’actions propres devra être associé à une mesure compensatoire, par exemple l’émission d’actions gratuites en faveur d’un fonds salarial et dans une proportion significative, soit 50% des titres rachetés ». Cette mesure doit se situer dans un cadre européen qui va se distinguer ainsi du modèle anglo-saxon en associant les partenaires sociaux, partie prenante de cette négociation sur les montants d’actions propres rachetées. L’ampleur du rachat d’actions : Aux États-Unis, les rachats étaient illégaux ou rares avant 1982. Moins courants qu'ils le sont aujourd'hui, ils ont été fréquents dans les années 1950, 1960 et 1970. Ainsi, les rachats d'actions à la Bourse de New York sont passés d'environ 300 M$ en 1954 à 1,3 Md$ en 1963 et ils s’élèvent en 2022 à 932 Md$. Ce mouvement prend aussi de l’ampleur en Europe et en France. En 2022, dans le monde, les rachats d'actions se sont élevés à 1300 Md$. Le questionnement : Cela ravive le débat entre développement des investissements internes et versement aux actionnaires. Comme le rappelle Patrick Artus dans un entretien à L’Express du 24/03/2023, « si une entreprise dégage des profits tels qu’elle n’est pas en mesure d’en réinvestir une partie dans des projets suffisamment rentables pour elle, elle doit rendre cet argent à ses actionnaires qui eux sauront l’investir ailleurs, dans d’autres secteurs plus porteurs ». L'énergie est un bon exemple où, pendant des années de nombreux dirigeants ont eu tendance à réinvestir de l'argent dans des projets, dont beaucoup ont produit de faibles rendements, ce qui a pénalisé les cours de bourse. Ces dirigeants ont compris que payer un dividende élevé et augmenter les rachats étaient le meilleur moyen d'enrichir les actionnaires et, accessoirement de conserver leur emploi de dirigeant. C’est la raison pour laquelle nous ne défendons pas ici l’idée d’une interdiction totale de ces rachats d’actions mais nous souhaitons y apporter des correctifs majeurs. Ces niveaux records de rachats d'actions attirent les critiques de plus en plus nombreuses et occupent désormais une partie des Assemblées Générales des actionnaires comme celle de Carrefour ou de TotalEnergies, le 26 mai 2023. Cette pratique peut augmenter significativement les bonus des dirigeants d’entreprises. Le montant en 2022 est le triple du niveau d'il y a dix ans et représente presque autant que le versement des dividendes, 1600 Md$. Le total des dividendes n'a augmenté que de 54% au cours des 10 dernières années. La tendance se poursuit en 2023, avec de nouveaux achats d'actions annoncés par des entreprises telles que HSBC, Apple, Airbnb et Compass. Le pétrole a été le secteur avec le plus grand nombre de rachats d'actions l'année dernière, les entreprises ayant racheté pour 135 Md$ de leurs propres actions, soit quatre fois plus qu'en 2021. En regard du défi de la transformation de cette industrie pour aller en direction d’une industrie « verte » qui nécessite des investissements importants, cette stratégie est très contestable. Les rachats sont un moyen pour les entreprises de restituer l'excédent de trésorerie aux actionnaires et peuvent faire grimper le cours de leurs actions, et l'ampleur de cette activité suscite aussi l’interrogation des régulateurs. Le président américain Joe Biden a introduit une taxe de 1% sur les rachats d’actions aux Etats-Unis qui est entrée en vigueur en janvier 2023 et il a récemment proposé de la quadrupler. La Securities and Exchange Commission a aussi approuvé une règle qui obligera les sociétés cotées en bourse à divulguer plus d'informations sur leurs rachats, telles que le nombre acheté et le prix moyen payé. Mal utilisés, ces rachats peuvent être utilisés pour manipuler à la hausse les chiffres du bénéfice par action afin d'atteindre les objectifs d'incitation à moyen terme de la direction au détriment d'investissements qui pourraient être plus importants pour la croissance à long terme De l’entreprise. Ces rachats profitent aussi davantage aux traders, aux fonds spéculatifs, aux cadres supérieurs et à la valorisation à court terme de l’entreprise. Ainsi, ces rachats ne créent de la valeur certaine pour les actionnaires que lorsque les actions rachetées sont peu chères et qu'il n'y a pas de meilleure utilisation de cet argent qui générerait des rendements plus élevés. Le partage de la valeur est donc un enjeu essentiel et nous devons la modifier afin de rééquilibrer ce partage avec les autres parties prenantes de l’entreprise. Les faits : Entre 2012 et 2022, pour prendre quelques exemples, les rachats par les plus grandes sociétés cotées au Royaume-Uni ont ainsi plus que triplé, passant de 22 à 70 Md$. Les sociétés cotées aux États-Unis ont augmenté leurs rachats de 333 à 932 Md$, tandis qu'en Europe, ils ont plus que doublé pour atteindre 148 Md$, dont 34,8 Md$ en France. Le ralentissement de la croissance des bénéfices aux États-Unis, l'augmentation de l'incertitude politique à la suite du récent stress bancaire et les valorisations aujourd’hui élevées devraient justifier désormais un frein aux rachats d’actions. Le Nasdaq, qui comprend l’ensemble des valeurs technologiques américaines, a ainsi progressé de 30% depuis le début de l’année 2023. La forte baisse des liquidités des entreprises américaines va aussi limiter leur capacité à poursuivre les rachats, tandis que la hausse des taux d'intérêt réduit l'incitation à les financer par la dette, la taxe de Biden n'aurait pas d'effet notable sur le volume prévu. 1/ La situation mondiale : le premier tableau sen annexe montre le détail de ces opérations en comparant la valeur boursière, le chiffre d’affaires 2022, les rachats d’actions et les dividendes, de même que les investissements industriels et les résultats pour avoir un élément de comparaison. La répartition est celle en $ des 40 plus importants rachats d’actions propres en 2022 dans le monde. Le montant global est de 550 Md$, soit 42% du total, ce qui montre une certaine concentration. 35 sociétés sont américaines, 2 suisses (Nestlé et Novartis) et il y a une française (TotalEnergies), une allemande (Deutsche Bank) et une britannique (BP). Au niveau sectoriel, il y a un biais technologique (11 valeurs), 7 en santé, 6 en énergie et consommation, 2 en télécommunication et en industrie. Sur l’année 2022, la somme des 40 premiers groupes en rachats et en dividendes s’élève à 754 Md$, soit plus que le résultat net des entreprises qui se situe à 658 Md$ et 2,8 fois les dépenses d’investissement industriel. Ces montants représentent aussi 4,6% de la capitalisation boursière des entreprises. Les rachats d’actions en 2023 prévus sur ces 40 groupes seraient en baisse de 25%. Apple, Alphabet et Microsoft ont racheté ensemble 181,4 Md$ de leurs propres actions en 2022 et 163,7 Md$ en 2021. 2/ La situation Européenne : la même analyse sur les plus grandes opérations européennes donne le résultat en annexe tableau 2. Les 40 premières entreprises européennes qui rachètent des actions comprennent 12 entreprises britanniques, 6 françaises, 6 espagnoles, 4 suisses, 3 en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas, 2 en Italie et une seule en Suède. Parmi les secteurs, on retrouve en Europe à la différence des Etats-Unis la prédominance de la finance, avec 15 acteurs dont 11 banques, 7 du secteur consommation, et 6 dans l’énergie et dans l’industrie. Le total est de 152 Md$ pour des dividendes versés à hauteur de 120 Md$. Donc au total c’est 272 Md$ qui sont reversés aux actionnaires par ces 40 premiers groupes, soit 7,2% de la somme des capitalisations boursières, et 84% du résultat net. C’est aussi deux fois plus que les investissements industriels. L’Europe prend le chemin des Etats-Unis dans cette problématique. 3/ La situation française : En 2022, les actionnaires français ont reçu au total 97,8 Md$ sous forme de dividendes et de rachats d’actions, soit 91,4 Md€ : 63 Md$ en dividendes et 34,8 Md€ sous forme de rachats d’actions. Nous avons retenu les 40 plus gros contributeurs français aux rachats d’actions qui représentent en 2022 un total de 34,6 Md$ et un total de dividendes de 48 Md$, cf. tableau 3. A noter qu’en 2021, le montant des rachats des 40 entreprises était plus élevé à 40 Md$, en raison de l'opération exceptionnelle de L'Oréal (10,1Md€), qui a racheté une montant de la participation de Nestlé et l’a en partie redistribué. Les 6 premières entreprises sont TotalEnergie, AXA, ArcelorMittal, BNP Paribas, Veolia et LVMH qui totalisent ensemble 21 Md$ de rachats d’actions. Certaines de ces entreprises font aussi parties de celles ayant versé le plus de dividendes au titre de l’exercice 2022 (TotalEnergies, LVMH, Sanofi, Axa, L’Oréal, Engie). Ces 6 Sociétés ont versé chacune plus de 2 Md$ à leurs actionnaires, dont près de 10 Md$ pour TotalEnergies. Entre 2015 et 2020, le montant des rachats d'actions représentait entre 15% et 25% de la somme des dividendes versés, selon le décompte tenu par la lettre financière Vernimmen, uniquement sur les entreprises du CAC 40. D’après nos calculs en 2022, sur un échantillon très proche du CAC 40, les rachats d’actions ont représenté 72% des dividendes versés, ce qui devient très élevé. En 2022, le taux de distribution de dividendes par rapport aux résultats s’élève à 40%. On pourra s’étonner dans le tableau du versement de dividendes chez Engie alors que le résultat net est fortement négatif. En ajoutant les rachats d’action, la ponction des actionnaires sur le résultat global s’élève à 69%. Par ailleurs et c’est sur ce point que l’on doit d’être plus critique, ces sommes versées aux actionnaires sont identiques au montant des investissements réalisés par les entreprises qui en 2022 ne s’élèvent qu’à 85 Md$. A un moment où notre pays manque d’investissements notamment dans la transition énergétique et pour retrouver une véritable politique industrielle, créatrice de croissance et d’emplois, cette répartition de la richesse créée n’est pas cohérente et est dangereuse en termes de souveraineté économique. Enfin, il faut rappeler que ce sont d’abord les salariés qui sont pénalisés par cette stratégie puisque ce disponible provient d’abord d’un poids moins élevé des frais de personnel. Tous ces éléments confirment la financiarisation de nos entreprises. Jean-Noël Vieille / 0685912626 Chef Economiste/ Secrétaire de section PS 9 Jacques Bravo, BF Fédération de Paris

Connectez-vous pour participer

Réponses récentes