L’écologie comme levier d’émancipation des femmes

Partant du constat que nous vivons dans des sociétés patriarcales, c’est-à-dire des systèmes de gouvernance où les hommes occupent majoritairement les places de pouvoir et de décision, nous pouvons en déduire que les hommes sont considérés comme supérieurs aux femmes, et par extension universels et dominants. Cette suprématie s’étend également à la nature dans une volonté de contrôle et d’asservissement. Elle nous conduit au désastre écologique qui est le nôtre aujourd’hui et pourrait bien signer la fin de l’humanité. Pourtant, rien ne permet d’affirmer que des sociétés matriarcales n’auraient pas suivi la même évolution vers une prédation toujours plus grande des « ressources » de notre planète. Les femmes, souvent essentialisées, ne sont pas des êtres plus proches de la nature que les hommes mais bien oppressées comme la nature par les hommes, d’où l’émergence partout dans le monde de nombreux mouvements « écoféministes ».

Face au dérèglement climatique, deux options sont possibles pour l’humanité : ne rien changer tout en se préparant au pire ou bien changer radicalement nos modèles de sociétés afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et retrouver une certaine sérénité dans les rapports humains, en délaissant le profit et la croissance infinie.

Continuer le même développement en pensant que nous pourrons nous adapter au changement
Le changement climatique renforce les inégalités de genre. Dans les pays du Sud par exemple, les sécheresses à répétition forcent les mariages de très jeunes filles ou leur déscolarisation, induisent des déplacements de populations, et rendent les femmes encore plus vulnérable à tous types de violences. Considérant qu’il s’agit de problèmes qui ne nous concernent pas directement, nous pensons, occidentaux, être à l’abri. Mais quels seraient les comportements individuels face à un réchauffement climatique de 2 ou 3 °C en France par exemple, induisant une montée des eaux, la sécheresse généralisée, des températures de plus de 50° dans les villes. Les êtres humains peuvent-ils vraiment s’adapter à tels bouleversements en gardant leur mode de vie actuel ? Quel type de régime politique serait alors aux commandes ? Serons-nous solidaires ou bien ce sera le règne du chacun pour soi ? Et dans cette situation, les femmes, déjà vulnérables aujourd’hui, ne seraient elles pas encore plus opprimées ? Comment évolueraient les rapports entre les hommes et les femmes ?

Changer nos modèles de sociétés en établissant une véritable égalité entre les hommes et les femmes pour garder une planète habitable
L’exploitation capitaliste des ressources naturelles au sein de sociétés de (sur)consommation nous a mené au réchauffement accéléré de la terre par un phénomène de réactions en chaîne incontrôlable. Les femmes ont-elles un comportement plus vertueux en matière d’écologie ? Il n’existe malheureusement pas de données genrées dans les rapports du GIEC qui ne comporte en son sein que 30% de femmes scientifiques. Il serait donc intéressant d’aboutir à la parité et d’encourager les études sur l’impact spécifique du changement climatique sur les femmes. D’autre part, les femmes semblent adopter des modèles de comportements plus respectueux de leur environnement. Par exemple, elles se mobilisent plus sur les questions écologiques, sont moins climato-sceptiques que les hommes et plus anxieuses face au dérèglement climatique.i Les femmes sont plus nombreuses à être végétariennes que les hommes, elles trient plus leurs déchets que les hommes, adoptent un comportement beaucoup plus écologique. Cependant, cette conscience accrue alourdit encore plus la charge mentale des femmes et est la résultante du rôle assignée aux femmes depuis toujours comme gardiennes du foyer. Un homme végétarien ou utilisant des contenants réutilisables pour faire les courses du foyer sera perçu comme beaucoup moins viril selon les stéréotypes genrés d’aujourd’hui. Il y a donc un véritable travail d’éducation à exercer auprès de la population masculine sur le partage des tâches domestiques qui pourrait être abordé sous l’angle de l’écologie, rendant ainsi l’approche peut-être plus efficace. Devant l’urgence climatique, il paraît essentiel d’analyser nos modes de vie, nos mentalités et nos actions politiques à travers le prisme de l’écologie. Voici quelques exemples où les actions écologiques ont pour corollaire l’amélioration de la condition féminine.

L’industrie de la mode
Il y a un domaine où les femmes contribuent à alimenter une des industries les plus polluantes de la planète : l’industrie de la mode surreprésentée par les multinationales de la fast fashion. La mode a accompagné l’émancipation des femmes (pantalons, mini-jupes…) en y trouvant un formidable levier de croissance. La fast fashion conçoit et fabrique toujours plus de vêtements de moins en moins bonne qualité. Mais qui les fabrique et dans quelles conditions ? 80% des « travailleurs » de l’industrie textile dans le monde sont des femmes et 65% d’entre elles sont victimes de harcèlement moral et sexuel. Émancipation des femmes d’un côté, exploitation des femmes de l’autre ? Un marketing savamment orchestré par l’industrie de la mode masque aux acheteuses par le « Glamour » ou le « Girl Power » (il en faut pour tous les goûts) la réalité : un désastre écologique exponentiel et des conditions de travail proche de l’esclavagisme. Il devient donc urgent d’inventer et de favoriser de nouveaux modèles de fabrication et d’encourager de nouveaux modèles de consommation. Pour respecter l’accord de Paris sur le climat, chaque habitant ne devrait consommer que cinq vêtements neufs par an contre 42 actuellement en France.
• Soutenir financièrement et valoriser les acteurs de la mode engagés dans une démarche écoresponsable, aider à l’installation les projets de relocalisation afin de retrouver à terme une véritable filière industrielle textile
• Encourager l’upcycling : avec comme objectifs la sensibilisation au gaspillage vestimentaire, à la pollution et à l’exploitation mais aussi créer du lien social en permettant à tous de venir expérimenter gratuitement la création de ses propres vêtements à partir de vêtements recyclés Des Maisons de la transition énergétique pourraient être créées sous l’égide du Ministère de l’Environnement, véritables lieux dédiés à l’upcycling, la rénovation énergétique, la formation des citoyens aux pratiques éco-responsables, l’alimentation durable, etc. co-animées par des citoyens et associations des territoires.
• Mettre en place un label obligatoire (type Nutri-Score amélioré), réglementer, sanctionner, taxer les industriels non respectueux de l’environnement et des droits humains
• Revoir la filière dite du recyclage des vêtements : plus de la moitié des vêtements collectés dans les bornes dédiées sont envoyés dans les pays étrangers, notamment en Afrique où ils polluent la vie de millions de gens
• Soutenir beaucoup plus qu’actuellement les structures dédiées à l’insertion via le recyclage de vêtements
• Campagnes de sensibilisation et de contre marketing
• Soutenir beaucoup plus qu’actuellement l’aide au développement économique des femmes dans tous les pays

L’agriculture
Pourtant très minoritaires au sein de la filière agricole en France, les femmes portent néanmoins des pratiques plus respectueuses de leur environnement et mieux ancrées dans leur territoire que les hommes. Elles sont cependant moins soutenues et accompagnées. Parmi les moins de 40 ans, la proportion d’exploitations « féminines » certifiées bio (6,9%) est plus élevée que celle d’exploitations « masculines » (5,3%). Les exploitations féminines ont plus souvent recours à la vente en circuits courts, pratiquent davantage la diversification, proposent deux fois plus souvent un hébergement touristique et des activités de loisirs que les exploitations masculines. Les femmes s’installent généralement plus tard que les hommes après avoir eu une formation non agricole et parfois salariée dans un autre secteur. Elles apportent donc avec elles de nouvelles compétences et modernisent les pratiques du milieu agricole. Pourtant, au lieu d’être valorisées, elles rencontrent plus de difficultés que les hommes dans l’exercice d’un métier déjà pénible :
- poids des normes sociales et des stéréotypes
- orientation au sein même des filières agricoles vers les services ou les activités jugées plus « féminines » (élevage équin et canin, maraîchage et horticulture)
- revenus d’activité fragiles et beaucoup trop bas (sans revenu ou avec un revenu faible, pas de cotisations pour bénéficier d’une protection sociale et d’une retraite décente)
- impact de la maternité encore trop fort sur la vie professionnelle (même si des progrès récents ont été faits)
- difficultés à articuler vie professionnelle et familiale
- obstacles à l’installation
Afin de lutter contre le réchauffement climatique et les pénuries alimentaires futures, nous devons entamer dès maintenant un changement profond en promouvant un modèle agricole de proximité. La PAC doit être réformée pour mieux prendre en compte les agricultrices et arrêter de favoriser les grosses exploitations au détriment d’une agriculture durable et écologique à échelle humaine : mieux répartir les subventions, notamment les aides à la conversion vers l’agriculture bio, réformer totalement le label HVE (Haute Valeur Environnementale) qui produit une concurrence déloyale face à la filière bio, suspendre l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur, encourager le développement sur tout le territoire de petites unités d’exploitation en soutenant par exemple les initiatives citoyennes de création de foncières agricoles solidaires et en menant une politique volontariste de préservation des terres agricoles et de lutte effective contre l’artificialisation des sols… Les femmes agricultrices sont déjà plus engagées que les hommes dans cette démarche. Ne les laissons pas se décourager et abandonner !

La sphère domestique
Encore souvent enfermées dans le stéréotype de la femme au foyer, la recherche d’une conduite plus écologiquement vertueuse semble accentuer la charge mentale domestique supportée majoritairement par les femmes. Car là encore, la charge mentale écologique repose essentiellement sur les femmes. Ce sont les fameux « petits gestes » écologiques au quotidien ou écogestes : utiliser des couches lavables, se convertir au zéro déchet (faire soi même ses produits ménagers, acheter en vrac…) ou trier les déchets, préparer les repas soi même, etc. Plus que jamais, il devient urgent de partager vraiment les tâches domestiques, déconstruire les logiques de genre, inciter les hommes à se diriger vers les métiers dits du « care », inciter les jeunes filles à se diriger plus massivement vers des études scientifiques (elles apporteront peut-être un autre regard dans l’innovation scientifique) Comme nous l’avons vu, les femmes semblent plus conscientes et mieux informées des risques liés au changement climatique. Il faut donc continuer et accentuer la lutte pour les droits des femmes afin de les libérer de la sphère domestique et les faire entrer plus nombreuses dans la vie politique, qu’elles occupent des postes décisionnels et puissent prendre part entièrement à la transition écologique nécessaire par la grande porte. Afin de légitimer l’engagement des femmes ou les sensibiliser, des formations de type « Fresque du Climat » devraient être systématiquement prévues pour les élues et les militantes mais aussi pour le grand public en en déclinant une version féministe.

Les espaces publics et les femmes
Il en va de même pour l’occupation de l’espace public. La répartition genrée de l’espace se fait dès la cours de récréation de l’école élémentaire où les garçons sont encouragés à occuper l’espace central tandis que les filles sont repoussées en petits groupes sur les côtés. Elle perdure à la vie adulte avec des espaces urbains pensés par et pour des hommes. Prenons l’exemple du vélo dont la pratique en ville comme en campagne est dominée par la gente masculine dans un esprit sportif et conquérant. Il est vrai que les pistes cyclables sont souvent conçues en France comme un véritable parcours d’obstacles ! Tout âge confondu, les hommes se déplacent presque trois fois plus à vélo que les femmes Les freins à la pratique du vélo (moyen de locomotion le plus écologique) par les femmes sont nombreux : peur de l’accident, sentiment d’insécurité (surtout la nuit), naissance d’un enfant, moqueries sexistes, peur de la panne… Pourtant, de nombreuses solutions existent : permettre l’apprentissage du vélo à tous les âges, créer des infrastructures cyclables sécurisées et adaptées à tous, encourager la labellisation des employeurs avec le label Objectif Employeur Pro-Vélo (OEPV)... D’une façon plus générale, réaménager les espaces urbains et ruraux en pensant en premier à ses futures utilisatrices permettrait de faire avancer à la fois la cause écologique et féministe. De nouvelles dispositions législatives pourraient être prises sur le modèle du plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics (PAVE) afin d’envisager des aménagements plus égalitaires et respectueux de l’environnement en obligeant les professionnels et les élus à prendre en compte le genre dans leurs projets d’urbanisme.

Concilier réduction des inégalités et transition énergétique 
Dans les faits, plus on possède d’argent, plus on pollue. De plus, adopter un comportement plus vertueux en matière d’écologie coûte cher (installation de panneaux solaires, achat d’un véhicule électrique, isolation de son habitation…) Les personnes en situation de pauvreté (plus de femmes que d’hommes) ont un bilan carbone exemplaire puisqu’elles vivent dans une sobriété subie et de « mauvaise qualité ». Les femmes étant principalement chargées du déplacement des enfants, des courses, etc. pourraient être à l’avenir pénalisées si leur portefeuille ne leur permet pas d’acheter un véhicule moins polluant (dispositifs ZFE). Comment rendre les changements de comportement acceptables et soutenables par tous ? Tout d’abord, en rappelant un des principes fondamentaux en démocratie : le droit à la dignité. Ce droit est lié à l’autonomie de la personne. Or, comment vivre dignement dans un logement insalubre, une passoire énergétique ou sans logement du tout, comment vire dignement quand on ne peut pas subvenir à ses besoins fondamentaux ? Car là aussi, les problèmes de logement ont un genre. Il faut donc engager une véritable politique de rénovation des bâtiments publics et privés, entièrement prise en charge pour les revenus modestes, entreprendre la construction de nouveaux logements passifs à très basse consommation énergétique avec les normes environnementales les plus strictes, toujours favoriser la réhabilitation de bâtiments existants quand c’est possible, réviser la législation pour mieux prendre en compte les habitats légers et alternatifs, et de manière générale, lutter contre l’urbanisation diffuse et repenser l’habitat pour l’inscrire dans des villes plus vertes, plus inclusives et propices à l’épanouissement des individus. À partir d’avril 2019 et pendant plus de 8 mois, la Convention Citoyenne pour le Climat, qui a réuni 150 citoyens tirés au sort, a travaillé sur des solutions à apporter pour lutter contre le changement climatique et a fourni un travail remarquable. « Le Président de la République s’est engagé à ce que ces propositions législatives et réglementaires soient soumises “sans filtre” soit à référendum, soit au vote du parlement, soit à application réglementaire directe. » Or, à ce jour, sur les 149 propositions faites par la Convention, seules 10% des propositions ont été reprises sans modification, 37% des propositions ont été modifiées ou édulcorées et 53% des propositions rejetées ou non appliquées. Il faudrait donc reprendre ces propositions pour les intégrer dans le futur programme présidentiel du Parti Socialiste en y ajoutant une visée éco-féministe.

Le marketing et la (sur)consommation
La publicité joue un rôle primordial dans la société de consommation dans laquelle nous évoluons. En nous poussant à acheter tel type de produit plutôt qu’un autre, elle influence nos choix et contribue au statu quo du modèle économique actuel basé sur la consommation de ressources non renouvelables. Quand elle ne pratique par le Greenwashing ou le Femwashing, elle véhicule toujours des images stéréotypées des femmes. La course à la beauté et la « perfection » physique, non seulement les entravent, mais les incitent à surconsommer des produits polluants et sur-emballés. C’est pourquoi il devient urgent de réglementer la publicité en reprenant par exemple les propositions faites par la Convention citoyenne pour le climat, à savoir notamment : réguler la publicité pour limiter fortement les incitations quotidiennes et non choisies à la consommation, interdire les panneaux publicitaires dans les espaces publics extérieurs hors information locale, culturelle et signalétique de localisation. Les pouvoirs publics peuvent également jouer un rôle d’éducation et de sensibilisation par des techniques de contre marketing de façon à contrebalancer les messages nocifs relayés par les grandes marques, promouvoir d’autres valeurs que le consumérisme en encourageant et développant la culture sous toutes ses formes et travailler à une sobriété heureuse. Il faut sortir d’une société capitaliste qui nous pousse toujours plus vers la déresponsabilisation à travers l’achat d’objets inutiles et polluants, empêche par le lobbying toute réglementation contraignante et entrave l’émancipation des individus.

Afin de respecter l’accord de Paris sur le climat en matière de neutralité carbone, l’empreinte carbone moyenne des Français (10,8 tonnes de CO2 en 2017), doit baisser d’environ 80% d’ici 2050 pour parvenir à 2 tonnes de CO2 par an. Il va de soi que les individus seuls ne pourront arriver à atteindre cet objectif dans l’environnement technologique et consumériste actuel. Les pouvoirs publics doivent donc entreprendre un énorme travail de régulation et d’innovation sociale et environnementale. Un de ces leviers pourrait bien être la jonction entre féminisme et écologie. Une politique du concret doit être encouragée pour revenir à la réalité matérielle de notre monde fini, sortir de l’illusion que nous pouvons garder notre monde actuel en le « verdissant » à l’aide de technologies qui n’existent pas. Le monde dans lequel nous vivons a été façonné par les hommes et est dominé par eux depuis des temps immémoriaux. Il serait enfin temps de laisser les femmes intégrer les organes de pouvoir et décider avec les hommes si elles veulent ou non continuer sur ce modèle de société délétère.

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