Le Brexit, le réchauffement climatique, la pandémie de COVID-19 et enfin la guerre en Ukraine sont venus nous rappeler à quel point nous avions besoin d’être unis et solidaires entre Etats membres de l’Union Européenne ; combien c’est à cette échelle que nous pouvions imaginer trouver des solutions pertinentes et efficaces aux maux qui nous frappent. Oui, l’union fait la force et nous avons ainsi plus que jamais besoin de renforcer l’Union Européenne : ne serait-ce que pour retrouver les moyens de notre souveraineté continentale dans la mondialisation, sur le plan économique, mais aussi désormais en matière de défense de notre territoire. Cela passe par une mobilisation de tous les outils à la disposition de l’UE à ce jour, mais sans doute également par un élargissement des compétences de l’UE. Pourtant, alors que l’agression russe devrait rappeler à tous la fierté d’appartenir à un ensemble européen démocratique et solidaire, et en dépit de la mobilisation de l’UE pendant ces 5 dernières années, une partie de nos concitoyens peine à éprouver de l’intérêt et encore moins de l’adhésion ou de l’attachement au projet européen, à 1 an des élections européennes, dans le cadre desquelles le taux de participation a tout juste dépassé les 50% en France en 2019. C’est dire combien il est urgent de réenchanter l’UE, de montrer comment elle peut répondre aux aspirations de nos concitoyens, dans le respect des compétences que les Etats lui ont strictement conférées et de celles de ces derniers et des collectivités locales. Elle ne peut répondre à tout, mais ses institutions, à commencer par le Parlement Européen, directement issu du vote des citoyens, doivent à la fois communiquer sur l’action concrète de l’UE et pousser dans le sens de l’intérêt collectif partagé des Européens : sur le terrain des valeurs, mais également en termes d’impact tangible dans leur vie quotidienne. Encore faut-il que les citoyens s’intéressent à son action et que les Etats ne s’interposent pas pour revendiquer ou taire ses succès collectifs voire la blâmer, quand ce ne sont pas les médias nationaux qui font écran à la communication de l’UE. Que nos concitoyens ne fassent pas de confusion entre l’action de l’UE et son impuissance résultant de l’incapacité de ses 27 Etats membres à s’entendre dans des domaines où l’UE n’a pas de compétence principale, voire exclusive, comme en matière sociale, de santé ou de politique étrangère et de défense ! Et enfin, que l’accès à l’information et aux outils d’aide européens soit facilité. Pour une démocratie sociale européenne Parce que nous sommes socialistes, notre 1er domaine de revendication et d’action doit être le renforcement des droits sociaux des citoyens européens, à commencer par la mise en œuvre effective du « Socle européen des droits sociaux » adopté en 2017, à décliner sous forme de Directives européennes ayant pour effet d’harmoniser les règles nationales en matière d’égalité des chances et accès au marché du travail, de conditions de travail équitables et de protection et insertion sociales. Dans ce cadre, il est essentiel qu’une clause de non-régression sociale soit intégrée dans ces Directives, assorties de sanctions en cas de non-respect. De façon générale, un renforcement de la législation en faveur des salariés européens doit être poursuivi, à l’instar de l’amélioration de la situation des travailleurs détachés ou récemment des employés des plateformes, et demain des intérimaires. L’insuffisante convergence économique entre les Etats membres rend toutefois cet horizon difficile si un effort très significatif n’est pas engagé pour renforcer la « politique régionale », afin de permettre un rattrapage économique et une convergence des salaires. Le principe d’un salaire minimum européen est une étape positive et bienvenue, mais pas totalement satisfaisante puisqu’il dépend de la richesse de chaque Etat membre. Or, on ne saurait remettre en cause la libre circulation des travailleurs qui fait partie des 4 libertés fondamentales de l’UE ou le principe de non-discrimination de l’UE. Cet effort au long cours doit être complété par un accompagnement financier et de formation à grande échelle des travailleurs européens dans le cadre de la transition découlant en particulier de l’essor du numérique et du réchauffement climatique, dans un esprit de justice sociale. Il convient de pérenniser, étendre et amplifier les mécanismes européens existants tels que le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation en faveur des travailleurs licenciés, la Garantie européenne pour la jeunesse ou encore le mécanisme d’aide au financement du chômage partiel européen (réassurance chômage « SURE »). Pourquoi ne pas pousser jusqu’à une assurance chômage européenne, en complément des dispositifs nationaux ? Par ailleurs, le développement d’une démocratie sociale européenne, pilier de notre modèle, implique de promouvoir un dialogue social et une participation accrue des salarié(e)s européen(ne)s dans la gouvernance des entreprises dans chacun des Etats membres, afin que nos concitoyen(ne)s aient le sentiment de reprendre leur destin en main et une forme de pouvoir. Au-delà, des exigences accrues à l’échelle européenne en matière de Responsabilité Sociale et Environnementale des entreprises sous la forme d’un « Passeport des entreprises responsables » ou de la définition d’un « Statut européen des entreprises à but lucratif », la promotion du statut de société d’économie mixte, coopérative et autres entreprises mutualistes et plus généralement de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) et des « Services d’Intérêt Général Européen » échappant à la seule logique du droit de la concurrence parfaite sont de nature à réconcilier les citoyens européens avec l’UE. Enfin, un Pacte européen de Stabilité social, à égalité avec le Pacte budgétaire, fixant des objectifs et critères de convergence sociaux, tels que la baisse du taux de pauvreté, la construction de logements sociaux pour les plus précaires ou l’accès à des soins de base, pourrait utilement parachever cet édifice social. Pour l’avènement progressif d’une souveraineté européenne A cet égard, la pandémie et sa gestion d’abord chaotique par les Etats membres, puis coordonnée par la Commission européenne, ont montré combien il devient pertinent de dépasser la frontière théorique entre Santé publique (volet sécurité) & Protection des consommateurs, compétence « partagée » de l’UE et de ses Etats membres dans le cadre de laquelle l'Union peut agir, la Santé humaine (hôpitaux publics, systèmes nationaux de santé…), compétence nationale, et « la prévention des maladies et des affections humaines et des causes de danger pour la santé physique et mentale » ou la « lutte contre les grands fléaux », domaines dans lesquels la marge d'action de l'Union est limitée puisqu’elle ne peut intervenir qu’en complément de l’action des Etats membres (compétence d’appui). Or, les Etats ont démontré leur difficulté à gérer en autonomie la crise sanitaire (situation italienne non transposable aux autres Etats membres au débit de la crise COVID-19). Il convient de tirer collectivement les leçons de cette crise sanitaire et du rôle central et positif de la Commission européenne, notamment dans sa gestion territoriale européenne solidaire. Nous demandons une compétence partagée entre l'Union et les Etats membres en matière d’approvisionnement en médicaments, de protection des citoyens en matière de crise sanitaire, de prévention et de coordination de la gestion de telles crises, qu’il convient d’anticiper. Il en va de la souveraineté et de l’indépendance européennes. Au-delà de la seule gestion de crise, l’heure est sans doute venue d’imaginer également une couverture santé européenne complémentaire des dispositifs de protection sociale nationaux. Le chemin vers une souveraineté européenne, au-delà du seul secteur de la santé, passe par une politique industrielle à l’échelle européenne, au service d’une stratégie commune. Cela concerne le numérique ou le développement durable, donc l’énergie (production, distribution/interconnexion, approvisionnements), vitale pour l’avenir et à fort enjeu social, mais aussi les industries de défense, appuyées par le Fonds européen de Défense, à un moment où notre sécurité est menacée pour la 1ère fois. En matière numérique, il faut se féliciter de la riposte européenne aux plateformes numériques américaines (GAFAM…) et chinoises en termes de fiscalité, de sanctions pour entorse à la concurrence et de régulation (protection des données personnelles via le RGPD, législations sur les marchés numériques ou « DMA » et les services numériques ou « DSA »). C’est un 1er pas, qui doit être prolongé par le développement d’infrastructures numériques propres, au nom de la sauvegarde de la diversité et du modèle européens. La question de l'énergie nécessite un traitement particulier : si le réseau d'interconnexion permet sans aucun doute une meilleure efficacité dans la distribution (un Etat achète aux voisins quand il en manque et vice versa), le marché européen de l'électricité n'a pas permis la réduction escomptée des coûts pour les particuliers, ni le développement d'investisseurs nouveaux dans la production. Il faudra revoir son fonctionnement, dans le respect des traités, afin de corriger ses insuffisances et limiter l'impact social des fluctuations du marché de l'énergie. La notion de service d'utilité publique reconnue dans les traités est sans doute appropriée dans ce contexte afin de sécuriser l'approvisionnement de ce bien crucial pour la population. Afin de rattraper notre retard, de reconquérir notre indépendance et de garantir une avance technologique, un effort particulier doit être porté en faveur des programmes pluriannuels européens de Recherche & Développement. Cette stratégie offensive doit avoir son pendant défensif, que ce soit sous la forme d’un « Buy European Act » ou du déploiement d’outils de défense commerciale, de protection de nos normes sociales et environnementales (« taxe carbone » ou « MACF ») ou de sanction des pratiques déloyales constatées en matière d’importations. Cette souveraineté européenne doit également couvrir une dimension alimentaire : au-delà du verdissement de la Politique Agricole Commune, un retour à une stratégie de régulation des marchés agricoles de nature à stabiliser les prix et juguler l’inflation au bénéfice de nos concitoyens pourrait être utilement étudié. Pour un véritable et ambitieux budget européen Ces différents chantiers présupposent cependant de disposer de ressources financières en adéquation avec ces nouvelles ambitions ! Afin d’échapper au chantage et égoïsmes nationaux liés aux contributions nationales, l’UE doit impérativement retrouver un financement majoritairement alimenté par des Ressources Propres. Au-delà de la taxe sur les transactions financières, à renforcer, ou de la nouvelle « taxe carbone » aux frontières extérieures de l’UE, à élargir à d’autres secteurs de façon à contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, sous réserve d’accompagnement des entreprises industrielles et agricoles, en particulier les PME, une part des recettes budgétaires issues de l’impôt sur les sociétés national devrait être allouée au budget européen. Faute d’harmonisation de l’assiette ou des taux en vigueur comme pour la TVA, les Etats membres abusant de l’outil fiscal pour attirer des investisseurs étrangers devraient être contraints de reverser une part inversement proportionnelle aux bénéfices qu’ils tirent de ce « dumping fiscal ». Cet outil de lutte contre l’évitement fiscal intra-européen devrait d’ailleurs être complété par un renforcement de l’action européenne contre la fraude et l’évasion fiscales. En complément de l’Echange Automatique d’Informations à caractère fiscal, la mise en place d’un cadastre financier européen permettrait de répertorier la détention des actifs financiers afin de savoir où ils sont localisés, y compris au-delà des frontières de l’UE. Ces nouvelles recettes fiscales pourraient être utilement complétées par de nouveaux emprunts de l’UE, afin de répondre aux défis de la transition numérique, de la réindustrialisation et du Pacte Vert européen. Cela implique néanmoins de revenir progressivement à une meilleure convergence des fondamentaux économiques et budgétaires, donc d’accepter le retour gradué à un cadre budgétaire et d’endettement harmonisé, a fortiori dans le cadre de la zone Euro, mais assoupli afin de mieux tenir compte des conjonctures nationales et investissements d’avenir, sans sacrifier les indicateurs sociaux (standards min) déjà évoqués au titre du Pacte européen de Stabilité social. Pour une réaffirmation des valeurs partagées fondatrices de l’UE Cette feuille de route serait cependant incomplète si nous ne réaffirmions pas ici le caractère central des valeurs sur lesquelles l’UE est fondée. Le respect de ces valeurs doit s’imposer à tous ses membres sans exception, mais aussi aux pays candidats aspirant à la rejoindre. Toutes les institutions européennes doivent s’en porter garantes, à commencer par le Parlement Européen. Toute violation doit être sanctionnée à la majorité qualifiée des membres de l’UE, hors l’Etat mis en cause. Ces sanctions doivent aller jusqu’à une suspension du versement de tout ou partie des subventions européennes, comme décidé à l’égard de la Hongrie et de la Pologne. Ces valeurs sont au cœur de la citoyenneté européenne ; au-delà d’une monnaie ou d’une représentation diplomatique extérieure communes ou encore du droit de vote aux élections européennes et municipales dans son Etat de résidence, seul un plus grand brassage culturel peut permettre de développer un sentiment d’appartenance à l’UE : cela passe par une généralisation et un élargissement des publics bénéficiaires des programmes d’échanges existants (Erasmus+…), par un développement des coopérations transfrontalières, un enseignement en partie commun obligatoire de l’Histoire européenne ou l’émergence de vrais médias et plateformes culturelles numériques européens multilingues, à même de forger progressivement une véritable identité européenne partagée.