Parti socialiste section Sarreguemines-Sarralbe, Angèle Duflot
Objet: Revaloriser la coopération territoriale en Europe pour nos régions transfrontalières au caractère rural
Selon le terme région, du latin regere, nos régions seraient définies comme de simples territoires géographiques aux délimitations déterminées. Il serait même possible d’aller plus loin en comprenant une région comme pan d’un territoire aux similarités culturelles et à l’héritage historique partagé. Or, en Alsace-Moselle, aujourd’hui membres de la région Grand-Est, mais conservant leurs caractéristiques propres, il n’en est rien. Dans nos territoires frontaliers, longtemps réclamés par l’un ou par l’autre, l’histoire est partagée entre héritage germain et français, la culture n’est ni seulement française, ni purement d’origine allemande. À l’issue de nos conflits nombreux, les territoires alsaciens et mosellans ont été les précurseurs dans le développement d’une réelle coopération franco-allemande, s’étendant par la suite à une échelle européenne. L’on a pu alors voir fleurir des projets nombreux, nous pensons notamment celui de l’Eurorégion Sar-Lor-Lux, aujourd’hui nommée “Grande Région” permettant à nombreux frontaliers de se prévaloir de facilités d’accès au territoire, mais aussi à la culture, aux soins, aux métiers présents dans les territoires voisins, le tout simplifié par le financement de la Commission européenne de projets visant à faciliter la coopération transfrontalière dans le cadre du programme Interreg. Pourtant, malgré un fonctionnement positif, est remarquable et notamment du côté français, un certain retard quant à l’acquisition de la culture des pays voisins, réduisant alors ces projets de coopérations interrégionales à de simples projets favorisant une croissance économique pour chacun des États y prenant part. Cela est d’admission commune, alors même que cette vision limitée à un aspect purement économique de ces coopérations et par extension de l’Union européenne en tant que telle, est à rebours de la conception socialiste de ce qu’est l’Union européenne. Il nous faut redonner à ces eurorégions et à ces coopérations transfrontalières une raison d’être autre que celle du pur développement économique des territoires. L’Union européenne ne doit plus être celle des aisés et des urbains, mais celle des ruraux et des populations populaires. Il s’agira donc d’aborder cette problématique d’abord sur l’aspect de l’enseignement et notamment celui de la langue du partenaire européen (I) ; ensuite, sera prise en compte la thématique de la mobilité (II) ; enfin, nous étudierons le cas de l’euroscepticisme encore bien présent dans la population nationale (III).
I. Une coopération renforcée au travers de l’apprentissage de la culture voisine
Dans nos régions frontalières, la maîtrise de la culture voisine, au quotidien est peu problématique. Cependant de réelles lacunes dans la maîtrise de la langue du pays frontalier demeurent et notamment dans les populations les plus paupérisées (A). Pourtant, cet apprentissage de la langue, en l’occurrence de l’allemand, permettrait d’étendre la conception de l’Union européenne chez l’ensemble des habitants limitrophes (B).
A. L’apprentissage de la langue du pays voisin : notion à ne pas réserver aux seules populations aisées
Dans un dossier intitulé : “Comment parler de l’Europe à la jeunesse” , Catherine Biaggi et Thierry Chopin évoquent la nécessité de mettre en place des dispositifs au sein des établissements scolaires permettant de développer un terreau fertile à la fois historique et géographique commun à tous les jeunes européens. Cependant, par-delà les liens d’histoires et de territoires déjà présentés dans les programmes d’histoire-géographie, la langue demeure la grande vulnérabilité des programmes scolaires. En effet, il est d’abord à noter que dans l’ensemble des langues proposées aux élèves, notamment dans le triptyque classique anglais, espagnol, allemand, seuls 3,4% des élèves portent leur choix vers l’allemand dès la sixième. De surcroit, à propos des autres premières langues outre l’anglais, elles ne concernent qu’un élève sur cent. Alors, la question se pose pour la majorité des élèves, faisant l’option d’une langue vivante 2e choix autre que l’anglais : comment peut-on avec à peine 2 heures et demie par semaine d’une LV2, apprendre réellement la langue du pays européen le plus proche ? La seconde problématique se pose de manière plus étroite au regard de la situation géographique des régions frontalières de l’Alsace et de la Moselle. Il s’agit du nombre d’élèves s’intéressant à l’apprentissage d’une langue autre que l’anglais ou l’espagnol. En effet, si l’on s’en tient aux chiffres des services statistiques ministériels de l’Éducation nationale, les apprenants germanistes sont aujourd’hui seulement 150 000 en France . Or, de nombreux projets telles les écoles ABCM (Association pour le bilinguisme en classe dès la maternelle) voient le jour dans nos territoires frontaliers. Cependant, non seulement faute de promotion de la langue allemande, mais aussi, car émanant d’établissements privés, ces projets ne peuvent s’étendre à une plus large échelle. Au fond, si ces établissements privés existent, c’est aussi qu’ils pallient le manque d’établissements publics offrant un projet similaire. Or, ces établissements publics existent sous l’appellation de DEAA (Dispositif d'Enseignement Approfondi de l'Allemand), mais manquent de professeurs pour accueillir les élèves, et ne mettent en place qu’un dispositif ajoutant aux élèves seulement quelques heures d'allemand par semaine sur leurs emplois du temps. Ils sont ainsi insuffisants pour permettre aux enfants de devenir bilingues. Face à cela, nos voisins germains démontrent un réel engouement pour l’apprentissage de la langue de Molière. En effet, en Sarre, depuis 2014, le gouvernement fédéral a lancé une politique de grande ampleur allant dans le sens d’une francophilie et francophonie généralisée chez les élèves et les étudiants. A l’heure actuelle c’est déjà plus de 51,2% des jeunes sarrois qui apprennent le français. De surcroit, tout est fait pour faciliter l’apprentissage de l’allemand. Ainsi, l’allemand est enseigné à partir du jardin d’enfants et dès le CP en primaire. Au collège, le français est considéré comme première langue étrangère, aux côtés de l’anglais. Au niveau de l’enseignement supérieur, la Sarre abrite déjà l’université franco-allemande et le secrétariat franco-allemand pour les échanges en formation professionnelle. Il s’agit donc, pour nous, dans un premier temps de revoir les enseignements des langues des pays voisins et de développer de manière appuyée l’apprentissage de ces langues dans les territoires frontaliers. Mais aussi, de faire une large promotion de ces langues, et cela, à toutes les populations. Il est à comprendre par cela que bien souvent, les élèves faisant le choix de la langue allemande dès le collège sont issus de milieux socialement favorisés et qu’il s’agit d’étendre cet enseignement à tous. Cela est crucial en ce que nos territoires frontaliers, et cela, notamment en Moselle, demeurent désertifiés, sous l’aspect de friches industrielles et dont la survie dépend des villes allemandes ayant encore une industrie développée et fonctionnelle. L’apprentissage de l’allemand pour toutes les populations, couplé avec une meilleure promotion non seulement des métiers, mais aussi des diverses professions, permettrait à de nombreux élèves de trouver aisément un travail dans le pays voisin. Cependant, cette solution n’est pas l’unique réponse à tous nos maux. Il sera nécessaire aussi dans une politique nationale et européenne plus grande, de développer nos territoires aujourd’hui oubliés. Pour autant, pour pallier un chômage important, nous nous devons de former des élites germanophones dans nos territoires frontaliers. Mais l’apprentissage de la langue permet une chose plus vaste encore, c’est d’être empiriquement citoyen de l’Union.
B. La langue et la culture voisine comme moyen de concevoir empiriquement l’Union européenne pour les jeunes gens
Il ne s’agit pas seulement de regarder l’apprentissage de la langue comme pourvoyeuse d’un seul emploi, mais de considérer cet apprentissage comme une ouverture culturelle au pays voisin. Aujourd’hui, les jeunes gens, élèves, étudiants, traversent la frontière, consomment, vivent, mais sans avoir les moyens de communiquer avec les voisins germains, sans avoir la possibilité de comprendre des points de vue variés. Or l’Europe, ça n’est pas le travail, ça n’est pas la seule consommation, mais c’est bien l’échange avec l’autre, l’élévation de soi par l’ouverture du champ des possibles au travers de la vision de l’autre de ce qui est. On peut voir cela chez Wittgenstein lorsqu'il s’intéresse au langage, au-delà d’une expérience proche du mysticisme de l’indicible et de l’ineffable, ce dernier écrit : “les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde”. („Die Grenzen meiner Sprache sind die Grenzen meiner Welt“). Ainsi, apprendre la langue du voisin, c’est observer autrement ce qui est, c’est devenir européen en action. Parce qu’il ne s’agit pas de simplement dire qu’il faut apprécier l’Europe et le voisin, mais cette union, d’autant plus dans les territoires frontaliers, il faut la pratiquer et la rendre praticable. Cela doit être fait pour tous et non seulement pour ceux qui ont eu la chance de baigner très tôt dans le bilinguisme familial. Cet apprentissage de la langue voisine doit aussi être couplé avec une mobilité accessible et facilitée cela évitant aux jeunes de dépendre de leur véhicule personnel ou de celui des parents ou tuteurs légaux.
II. Une coopération renforcée au travers des facilités de mobilité
Si l’aspect de la langue et la considération non pas seulement d’une Europe économique, mais aussi culturelle est majeure, il convient aussi de considérer l’Union européenne autrement, en ce qu’elle ne soit pas seulement l’Union européennes des villes et des urbains entre eux, mais aussi l’Union européenne pour les populations rurales. En effet, concernant la mobilité au sein même de l’Union européenne, longtemps prônée et vue notamment au travers de son modèle Erasmus comme l’une des grandes réussites de l’Europe, il s’avère que de réelles disparités se font ressentir entre les jeunes ruraux et les jeunes urbains quant à l’accès à cette dernière (A). La modification des mentalités, de ce sabotage personnel des ruraux envers eux-mêmes doit nécessairement s’accompagner d’un développement et d’une uniformisation des modalités d’accès aux transports entre les régions frontalières (B).
A. Une différenciation entre les jeunes issus des zones rurales et ceux issus des zones urbaines quant à l’appréciation positive de la mobilité dans l’UE
Dans une note de l'IFOP en collaboration avec l’institut Jean Jaurès du 20 novembre 2019 , a été analysé une réelle disparité entre les jeunes des villes et ceux des milieux ruraux. Il s’avère qu’il existe un déterminisme géographique limitant les aspirations des jeunes des milieux ruraux, alors même qu'ils sont pour ce qui concerne nos régions, sur des territoires frontaliers. L’institut rappelle même, qu’“outre une objectivation chiffrée de phénomènes récemment identifiés, cette enquête donne aussi à voir une donnée nouvelle et particulièrement frappante dans le clivage entre jeunes des villes et jeunes des champs : le rapport à l’international.” Nous pouvons donc remarquer qu’il y a non seulement une différence d’aspiration académique et professionnelle entre les jeunes citadins et les ruraux ; mais aussi, une différence d’accès à la mobilité. Au fond, les effets de lieux sont au moins aussi puissants que les effets de classes, l’un et l’autre se renforçant mutuellement. Or, si nous prenons l’exemple de l’arrondissement de Sarreguemines, c’est un espace demeurant paradoxalement rural en ce qu’à part la ville en elle-même, à la population décroissante, il n’y a rien pour les jeunes gens qui leur permet de développer un goût à la mobilité. La vie de ces jeunes gens est en fait : “affaire de trajets” déjà rien que pour le quotidien La mobilité pour tous n’est que chimère, illusion ancrée dans les mentalités urbaines pour les recruteurs avides de profils bilingues. Or, déjà dans nos régions frontalières rurales, nous ne savons développer cette mobilité. La conception de ce qu’est l’Union doit être exercée, vécue, on ne peut prôner l’Union pour les seuls plus aisés et urbains et en oublier les ruraux et pourtant les plus touchés par échanges et les partenariats avec les territoires voisins. L’Union c’est aussi un moyen de limiter les conséquences de cette compétition scolaire qui s’est étendue sur ce champ-là. En effet, 33% des 17-23 déclarent ainsi être encouragés à aller étudier à l’étranger par leurs familles, ce pourcentage s’élève pourtant à peine à 27% pour les jeunes des territoires ruraux. Faisons alors de nos territoires frontaliers, les acteurs centraux d’une mobilité empirique pour les jeunes gens, leur proposant ainsi des opportunités bien plus larges que ce qui est à l’heure actuelle promu. Cette mobilité doit bien évidemment s’accompagner de facilitations d’accès aux transports entre territoires frontaliers
B. Une mobilité favorisée dans des transports facilités entre pays frontaliers
Cette problématique de transport entre territoires frontaliers est visible assez aisément entre la région de la Moselle et du Land de Sarre. En effet, selon la ville acheminée, aussi bien en tram qu’en bus, le tarif ne sera pas le même. Aussi, les modalités de réduction des tarifs varient au regard des destinations. Ainsi, l’étudiant qui prendra le bus vers Forbach devra payer un billet normal, tandis qu’il pourra voyager gratuitement vers Sarreguemines avec sa carte étudiant. Les partenariats ne sont pas uniformisés et fondent une réelle inégalité entre les territoires. Une autre problématique peut être illustrée avec l’exemple de la liaison de la ville de Wissembourg en Alsace avec les villes allemandes alentours. En effet, alors même que la ville de Wissembourg est à peine à 1,87km à vol d’oiseau du premier village frontalier, cette dernière ne possède qu’une seule ligne TER lui permettant de faire des allers et retours vers le territoire voisin. Il s’agit donc à l’aide des projets d’Eurorégion, mais aussi avec la volonté de ne pas faire seulement une Europe des urbains, mais aussi une Europe des ruraux ; de mettre en place davantage de transports et d’uniformiser les tarifs et les modalités d’accès de ces derniers. Au fond, la majorité des structures préexistent à cette uniformisation car il y a déjà une nécessité de se mouvoir, mais il s’avère de faciliter cette mobilité et d’en assumer les coûts pour permettre notamment aux ruraux des territoires frontaliers d’en faire usage.
III. Des projets concrets afin de saper à la base l’euroscepticisme français par excellence
Il est impossible de faire mention de l’Union européenne sans parler de l’euroscepticisme bien français qui touche nos populations, cela même dans les territoires frontaliers, bien qu’à relativiser (A). Ce problème montre qu’il est aujourd’hui plus que nécessaire de revoir notre conception de ce qu’est l’UE (B).
A. Un rapport complexe des Français à l’UE mais qui n’est pas systématique
En 2020, on comptait à 58% le nombre de Français méfiants vis-à-vis de l’UE. Ce qui place la France parmi les pays avec un niveau d’euroscepticisme les plus élevés de l’UE. Cependant il convient de se garder de toute lecture monolithique de ce résultat en ce que les critiques adressées à l’UE sont diverses et variées et tous qui les portent ne se considèrent pas comme eurosceptiques. Ainsi, on peut remarquer qu’il y a encore un attachement important aux grandes valeurs de l’UE et notamment concernant les attributs qui sont liés à l’UE tels que “l’Europe de la Paix”, “l’Europe de la Démocratie”. C’est un niveau “diffus” de soutien politique qui contrairement aux soutiens spécifiques à l’UE n’est pas aussi visible dans le paysage politique. Ainsi selon l’Eurobaromètre 92, d’automne 2019, l’UE est associée aux yeux des Français, à la liberté de circuler à 46%, ou à la paix à 37%. Il est donc primordial de relativiser l’euroscepticisme et de se tourner davantage vers la sociologie qui mène à un rejet de l’UE. Encore une fois, le rapport complexe envers l’UE est présent en ce que tout une part de la population à la fois paupérisée et rurale se sent comme oubliée des projets européens. C’est à nous, en passant par des projets de coopération non seulement aux buts capitalistiques entre régions frontalières que ce sentiment s’estompera.
B. La question de la conception de l’Union européenne à la française : une notion à sonder et à défaire
C’est au fond l’aboutissement de l’ensemble de cette proposition et de l’ensemble des exemples qui ont été donnés précédemment. Nous nous devons en tant que socialistes, de défaire la seule vision d’une Europe pour les urbains aisés. Les liens de l’Union doivent s’étendre dans une certaine mesure aux territoires frontaliers les plus proches, généralement, les territoires ruraux aux villes moyennes. La conception de l’Union européenne, la survie de cette Union, mais aussi le développement de nos territoires frontaliers, dans le sens d’une déconstruction d’une appartenance nationale au profit d’une appartenance européenne en dépendent. Faisons de l’Union européenne un moyen de développement de nos territoires oubliés en proie à un euroscepticisme important et se tournant alors vers des partis d’extrême droite pensant y trouver une solution. Reprenons, nous socialistes, la thématique de l’Union européenne à notre avantage mais surtout à l’avantage des populations rurales.