Réussir et prolonger « Made in Europe 2030 »

Contribution à la Convention Europe des sections Paris 5e, 6e et 7e arrondissements. Dans le discours prononcé par Olaf Scholz à Prague le 29 août 2022, « Made in Europe 2030 » ambitionne surtout de rattraper le retard de l’Europe sur « La Silicon Valley, Shenzhen, Singapour ou Tokyo » puis de se donner les moyens de devenir leader dans les futures technologies clefs. La tribune de Christophe Clergeau, Olivier Faure et Sylvie Guillaume « Bâtir un nouveau projet européen avec Olaf Scholz » publiée dans le journal Le Monde en octobre 2022, reprenant le mot d’ordre « Made in Europe 2030 », en étend la finalité et précise quelques conditions de succès . Nous voulons voir en « Made in Europe 2030 » la première pierre d’une politique industrielle européenne globale que l’urgence climatique rend indispensable, une politique industrielle pensée en fonction de la bifurcation écologique, de la reconquête de notre souveraineté, et du bien-être de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Cette contribution n’aborde ni le thème de l’énergie étudié par un autre groupe de travail parisien ni celui de l’Agriculture et de l’agro-alimentaire pour lequel le groupe a estimé manquer de compétences. Une politique industrielle est au service d’une vision politique et en constitue un élément fondamental. Elle s’insère dans un projet global dont elle intègre les priorités, promeut les valeurs et façonne la réalisation. Nous affirmons que la nouvelle politique industrielle européenne doit être pensée en fonction de quatre critères clefs : • La bifurcation écologique • La souveraineté européenne • La volonté de produire local • La recherche de sobriété Plusieurs points fondamentaux se dégagent ces critères : Participant aux combats écologiques, sociaux et démocratiques, la politique industrielle ne peut se mesurer à la seule aune du PIB. Proposition 1 : « Made in Europe 2030 » doit être l’occasion de mettre en place, à côté du PIB, de nouveaux indicateurs, qui valorisent en priorité la justice sociale, les libertés syndicales, le bien-être des populations, la résilience face aux crises et l’environnement. Nous attendons d’une politique industrielle européenne qu’elle ne se limite pas aux nouveaux domaines d’activité mais se préoccupe tout autant des investissements existants et de l’évolution des filières établies. Nous en attendons aussi la prise en compte des secteurs en décroissance et la mise en place des nécessaires reconversions professionnelles qui s’annoncent massives si nous voulons prendre à bras le corps l’urgence écologique. Cette politique industrielle doit également englober les acteurs économiques de l’économie sociale et solidaire ou de l’économie circulaire. Proposition 2 : Vue la profondeur des transformations nécessaires et les investissements lancés par d’autres pays non européens, « made in Europe 2030 » ne pourra réellement être efficace sans nouvelles ressources propres pour l’UE . Une politique industrielle doit être attentive aux PME Proposition 3 : rendre les subventions européennes plus facilement accessibles aux PME notamment par une simplification des procédures ou par la possibilité de réponses groupées. Enfin la politique industrielle européenne doit prendre en compte l’effet d’entrainement qu’elle peut avoir hors de l’Union européenne et tout particulièrement dans le voisinage immédiat de l’Union (Méditerranée, Maghreb, Afrique subsaharienne). Lorsque nous parlons de relocalisation de la production en Europe, nous devons faire la distinction entre les biens produits à l’autre bout de la planète (Chine par exemple) et ceux fabriqués dans le voisinage immédiat. Ne plus être dépendant de fabrications venant d’Asie a du sens, rapatrier en Europe une usine située au Maroc en a beaucoup moins Proposition 4 : Concevoir la politique industrielle européenne en tenant compte de ses conséquences sur l’activité des pays du voisinage. La politique industrielle doit renforcer la cohérence de l’Union européenne. Pour cela, il faut veiller à ce qu’elle bénéficie à l’ensemble des Etats-membres et constitue l’un des moyens de correction des disparités fortes qui subsistent encore aujourd’hui dans l’Union. La nécessité de reconversions professionnelles profondes, à grande échelle pour aborder la bifurcation climatique offre une opportunité unique de niveler les différences entre Etats-membres en étant attentifs à une répartition équilibrée de la formation aux nouveaux métiers. Proposition 5 : S’assurer que les fonds de reconversion professionnelle permettent un rattrapage des Etats-membres économiquement les plus fragiles. Penser « Made in Europe 2030 » en fonction de la bifurcation écologique 2030 c’est demain et la bifurcation écologique doit commencer immédiatement. Le décalage, notamment chez les jeunes, entre la perception de l’urgence et la faiblesse des réponses apportées génère une éco anxiété qu’il faut combattre sous peine de voir s’installer un mortifère pessimisme ou prendre corps des solutions de charlatan aussi simplistes qu’irréalistes. La réflexion doit également intégrer la limitation des ressources naturelles, y compris, à terme l’eau. Elle doit aussi poser comme principe de ne pas « exporter les problèmes » comme nous avons l’avons trop souvent pratiqué par le passé, par exemple en délocalisant les activités polluantes. La politique industrielle européenne que nous souhaitons : • Soutient et contribue à mettre en œuvre les autres politiques menées par l’UE et notamment le paquet Fit for 55 qui propose des actions concrètes pour réduire de 55% au moins par rapport à 1990 les émissions européennes de gaz à effet de serre. • Se donne pour objectif de mettre l’UE à l’avant-garde de la transformation écologique. • Anticipe les conséquences de la production sur l’écosystème. • Intègre les besoins de recherche, de reconversion et de formation à de nouveaux métiers rendus nécessaires par la transition à marche forcée vers des industries vertes. L’isolation des bâtiments est un bon exemple de filière complète dans laquelle peuvent être développés de nouveaux savoir-faire innovants et créés des emplois non délocalisables, à haute valeur ajoutée pour certains, o Proposition 6 : Créer un fonds significatif et bien identifié pour aider à financer les reconversions nécessaires à la transition écologique. • Développe une activité minière propre respectueuse de la nature • Accroit l’économie sociale et solidaire et l’économie circulaire o Proposition 7 : Faire de l’Europe le continent du recyclage et de l’économie circulaire . • Prévoit l’accroissement quasi certain des migrations climatiques et leurs conséquences sur les besoins et le marché du travail européen. Penser « Made in Europe 2030 » en fonction de la souveraineté Une Europe souveraine doit être en capacité d’offrir à ses habitants les biens essentiels à une vie digne en période « normale » comme en période de crise géopolitique. Pensée en partant des besoins globaux de l’individu, la souveraineté ne se limite pas à la mise en place de filières dans les technologies innovantes (micropuces, intelligence artificielle, filière hydrogène, …). La pandémie a mis en lumière notre dépendance vis-à-vis de chaines d’approvisionnement mondialisées dans le domaine des médicaments et des vaccins mais aussi dans des secteurs beaucoup moins technologiques comme les masques. Elle a montré, et la guerre en Ukraine l’a encore souligné, la vulnérabilité de secteurs industriels entiers aux facteurs extérieurs que sont les épidémies, les guerres ou les évolutions politiques. Dans les domaines sensibles nous devons récupérer notre indépendance ce qui peut passer par des relocalisations en Europe. Raisonner en terme de souveraineté impose de redéfinir le droit européen de la concurrence en fonction de l’environnement mondial et de remettre en question le concept de moins disant. Nous devons créer les conditions d’émergence de champions européens dans les domaines clefs et exiger des conditions de réciprocité de la part des autres « grands blocs » de la planète. Le durcissement des relations internationales nous impose une grande vigilance sur la protection de notre marché intérieur, l’application par les acteurs non européens de nos normes et de nos principes de transparence. La souveraineté ne signifie pas l’autarcie mais réclame des règles appropriées et équilibrées pour le commerce mondial et le respect de nos exigences en terme d’attention à l’environnement et de droits sociaux. En ce sens, la politique industrielle européenne est une notion que nous devons promouvoir dans les instances internationales La souveraineté de l’Europe passe aussi par le renforcement de sa cohésion et de ses politiques sociales. Nous voulons des travailleurs bien formés et des emplois bien payés . Nous voulons des entreprises attentives au dialogue social et dans lesquelles les salariés sont associés aux prises de décisions et participent au conseil d’administration Proposition 8 : S’assurer que les financements vont à des entreprises socialement responsables et sont utilisés pour créer des emplois et des apprentissages de qualité. Penser « Made in Europe 2030 » en fonction du produire local Nous avons tous des exemples de pièces détachées ou de biens intermédiaires qui parcourent la planète pour fabriquer un produit fini qui, à son tour, retraverse la planète pour atteindre ses marchés. La logique économique qui sous-tend cette gabegie de transports doit cesser. La proximité des entreprises, de leurs sous-traitants, de leurs services externalisés et de leurs marchés doit être aidée et renforcée. Proposition 9 : Lier les financements de l’Union européenne à un comportement vertueux en terme d’écosystème local. Penser « Made in Europe 2030 » en fonction de la sobriété La bifurcation écologique repose aussi pour une part importante sur l’exigence de sobriété qui doit orienter la gestion de nos ressources et nos usages. Cet hiver la consommation électrique a été de plusieurs points inférieure aux prévisions faites en tenant compte de la douceur des températures. La sobriété n’est pas uniquement une question de responsabilité personnelle, elle doit être systémique et incorporée dans la définition même de la politique industrielle que nous souhaitons. Si demain les voitures électriques les plus profitables pour les fabricants pèsent toujours deux tonnes et peuvent monter jusqu’à 180 km/h, certes, les émissions de CO2 à l’usage disparaitront, mais la construction de ces bolides, en particulier de leurs batteries, représenteront des consommations d’énergies considérables et leur usage sera très gourmand en électricité alors que la production d’électricité dé-carbonée restera un enjeu considérable dans les temps qui viennent. Dans le fonctionnement actuel de l’Union européenne, une politique industrielle ambitieuse nécessite, certes, un renforcement de l’Union. Elle nécessite surtout que « tout le monde joue le jeu », que les décisions prises soient rapidement mises en œuvre et réellement appliquées dans les Etats-membres comme vis-à-vis des tiers. Cela ne sera réellement possible que si les citoyennes et les citoyens européens font pression en ce sens.

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