Union européenne et affaires étrangères : consolidation d’un acteur majeur et défense de nos valeurs

La dimension internationale de l’Union européenne a considérablement changé en peu de temps. La guerre en Ukraine (dès 2014 avec des sanctions décidées à l’unanimité des États membres et toujours reconduites), le COVID19, la lutte contre le changement climatique, l’émergence de l’opposition États-Unis Chine sont autant d’éléments qui ont fait de l’Union européenne un acteur international majeur à travers ses actions. En parallèle, les États membres continuent de mener leurs propres politiques étrangères avec une coordination relative avec le niveau européen. Il est plus que jamais nécessaire de repenser l’articulation entre les niveaux nationaux et européen en matière de politique étrangère et de préciser l’action de l’Union européenne en matière d’affaires étrangères. I. 2019-2024 : des progrès grâce aux députés et Commissaires socialistes mais une Europe en demi-teinte à l’internationale Force est de constater que l’Union européenne continue à être un acteur international qui agit sans réellement s’affirmer comme un « grand » des affaires étrangères à cause de certaines malformations internes et d’un contexte international qui fait la part belle aux grandes puissances qui s’affirment. Le mandat actuel du Parlement et de la Commission (2019-2024) s’achève sur une montée en puissance de l’Union européenne comme acteur structuré et actif sur la scène internationale, caractérisé par des actions nouvelles et la création de nouveaux instruments. Premièrement, le constat est clair : l’Union européenne reste handicapée par sa structure institutionnelle (avec l’exception notable du commerce). Les autres puissances internationales jouent de la dualité des niveaux européen/nationaux pour diminuer le poids de l’Union européenne. Il est plus favorable à la Chine ou aux États-Unis de parler à l’Allemagne, l’Italie, la Pologne ou la France plutôt qu’à l’Union européenne. Cette stratégie est facilitée par nos institutions : manque de leadership identifié (ex : Présidente de la Commission Von der Leyen vs Président du Conseil européen Michel, dont les rapports ont été exécrables ces dernières années, Haut Représentant/Vice-président de la Commission Borrell vs ministres des Affaires étrangères des États membres). Cette dichotomie se retrouve dans certaines politiques, à commencer par l’aide au développement, qui est invisible politiquement alors que l’Union européenne est le plus grand donneur de la planète. Ce constat doit être nuancé par l’unité et une position forte de l’Union européenne par rapport à l’Ukraine (politiquement, soutien financier, sanctions etc.) L’Union a également investi d’autres domaines de façon relativement efficace, bien qu’encore timide (défense du climat, défense de nos valeurs – démocratie, droits fondamentaux). Le commerce reste une exception forte car les États membres n’ont plus de compétence dans ce domaine : l’Union européenne parle et agit systématiquement d’une seule voix et impose des mesures de manière cohérente (droits douanes, sanctions etc.). C’est d’ailleurs le seul domaine où elle a les moyens de parler d’égal à égal aux Etat-Unis, à la Chine etc. Deuxièmement, les mandats finissant du Parlement et de la Commission ont vu des changements importants, notamment poussés par les députés et commissaires socialistes. Les sanctions européennes contre la Russie, qui nécessitent l’unanimité au Conseil, ont commencé à être adoptées en 2014. Elles se sont maintenues depuis et ont pris une dimension autrement plus forte depuis février 2022 – 11e paquet de sanctions adopté le 21 juin 2023. Le Haut Représentant/Vice Président de la Commission Josep Borrell a contribué à cette unité des 27. L’adoption de sanctions contre la Chine à cause du traitement des Ouïgours en est un autre exemple. D’autres évolutions sont à noter, telle que la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et l’initiative liée à la déforestation ou encore la politique commerciale dont la dimension durable a été renforcées à la demande de députés socialistes notamment (les éléments de développement durable, tel que le respect de l’Accord de Paris, sont désormais soumis à l’arbitrage dans nos accord commerciaux). A noter également d’autres avancées, à l’initiative d’autres familles politiques : le mécanisme de surveillance des investissements en Europe, de nouveaux outils pour l’Union européenne pour riposter aux subventions étrangères, pour limiter l’accès à nos marchés publics par effet miroir à d’autres pays ou encore pour adopter des sanctions en cas de coercion par des puissances étrangères. II. Une voie une et forte de l’Europe à l’international pour mener des combats essentiels – paix, climat, prospérité et solidarité Les rivaux politiques aux socialistes au Parlement européen se distinguent soit par la volonté d’une Europe absente de la scène internationale, soit par des orientation politiques différentes. Les députés d’extrême droite (groupes ECR, identité et démocratie) favorisent une approche nationaliste de l’Union européenne, appelant les États membres à prendre le pas sur l’Union européenne. Cette approche se confirme dans le domaine des affaires étrangères. Cette famille politique s’oppose à ce que l’Union européenne continue de s’affirmer internationalement et favorise les États membres, individuellement, comme acteurs internationaux. Nous avons vu le résultat par exemple quand la Lituanie a autorisé l’ouverture d’un bureau de représentation de Taiwan sur son territoire et a du faire face à des sanctions commerciales chinoises extrêmes. Un autre élément est à noter : ces députés d’extrême droite n’ont pas les mêmes positions sur les questions internationales et divisent donc les États membres (ex : le PiS polonais est très virulent contre la Russie tandis que le Fidesz hongrois ou le RN français sont favorable au régime du Kremlin). En ce faisant, ils jouent le jeu des autres grandes puissances internationales, contre les Européens. Les députés libéraux et conservateurs (groupes Renew et PPE) ont suivi une évolution proche de celle des socialistes en matière de souveraineté européenne, de sécurité ou encore de défense, tout en défendant le libre-échange en matière économique. Ils ont pris conscience de l’évolution du monde et de la nécessité pour l’Union européenne, qui pèse infiniment plus que les États membres individuellement, d’être renforcée et de s’imposer sur la scène internationale. Cela s’est traduit par des compromis avec les socialistes pour défendre vigoureusement l’Europe dans le contexte actuel (guerre en Ukraine et sanctions contre la Russie, protection contre la Chine ou les menaces économiques américaines etc.) En revanche, sur le plan économique, ces deux familles politiques continuent à promouvoir la poursuite de la libéralisation des échanges commerciaux à tout crin – ce sont bien deux dirigeants européens libéraux qui ont appelé à une pause en matière réglementaire pour sauver le climat, le Premier ministre belge Alexander de Croo et le Président français Emmanuel Macron. Cette ligne politique est dangereuse pour la lutte pour le climat et ne tient pas compte de la nécessité de justice sociale dans le développement économique. Les députés d’extrême gauche (groupe GUE) partagent souvent avec l’extrême droite la volonté d’une Europe repliée sur la diplomatie de ses États membres, contre une Union européenne comme acteur international fort. Dans le domaine économique également, ces députés s’opposent par principe à tout accord commercial, indépendamment de toute nécessité de réguler le commerce international et de le lier éventuellement à des enjeux sociaux et environnementaux. Ils semblent ignorer la richesse produite par le commerce et le développement de notre économie grâce aux exportations de l’Union européenne. La voie que doivent proposer les socialistes (groupe S&D): les Européens ont besoin d’une Union européenne qui parle d’une seule et forte voie à l’international, en étroite coopération avec les États membres. Les États membres n’ont plus le poids politique ou économique pour tenir tête aux États-Unis, à la Chine, à l’Inde ou à la Russie. L’Union européenne doit être renforcée dans sa structure. Renforcée, elle pourra porter les combats essentiels sur la scène internationale tels que la lutte contre le réchauffement climatique, la diminution des inégalités dans le monde, la promotion de la démocratie et du droit international et l’encadrement des échanges commerciaux sans tuer la poule aux œufs d’or. III. Propositions pour la mandature 2024-2029 Les propositions ci-dessous permettraient de renforcer l’Union européenne comme acteur international et de l’orienter vers une action forte pour la défense de la paix, du climat et de l’environnement et la solidarité tout en tirer les bénéfices économiques de nos relations avec le reste du monde. Donner les moyens à l’Union européenne de jouer son rôle international: l’Union européenne doit avoir les moyens de mieux se faire entendre sur la scène internationale. Le successeur de Josep Borrell doit être gratifié du titre de Ministre européen des Affaires étrangères (en lieu et place du titre actuel : « Haut Représentant de l’UE et Vice-Président de la Commission européenne »). Il devient également nécessaire de simplifier la prise de décision au sein de l’Union européenne en matière d’affaires étrangères et, comme en appelle Josep Borrell, de passer de l’unanimité à la majorité qualifiée pour les décisions du Conseil. Nous devons également élargir les enceintes internationales où l’Union européenne parle d’une seule voix : c’est le cas aujourd’hui à l’OMC et à la FAO (où l’Union européenne est membre). Nous devons lancer le processus interne à l’Union européenne pour suivre ce modèle dans toutes les instances de l’ONU, y-compris au sein de son conseil de sécurité. Cette évolution pourrait également se traduire par un rapprochement des services diplomatiques de l’Union européenne et des États membres : nous devons passer d’une Ambassade l’Union juxtaposée avec des Ambassades des États membres dans chaque pays du monde et un regroupement de ces services, à commencer par un regroupement physique, et ouvrir la porte à un regroupement des services diplomatiques. Tous les États membres n’ont pas les moyens d’être présents dans tous les États du monde : cette économie d’échelle permettrait une meilleure protection des Européens à l’étranger tout en renforçant la présence de l’Union à l’étranger. Réaffirmer l’engagement de l’Union européenne en faveur du multilatéralisme et du droit international : face à la loi du plus fort imposée notamment par la Chine ou les États-Unis, l’Union européenne doit continuer de privilégier le multilatéralisme et le droit international aux côtés de tous les pays plus petits et moins puissants. Cela passe par un investissement renouvelé et augmenté dans les organisations internationales, à commencer par l’ONU ou l’OMC. Réaffirmer les priorités géopolitiques et les valeurs de l’Union : dans un monde qui a fort changé lors de la dernière décennie, l’Union doit retisser un lien avec l’Amérique latine et l’Afrique, miser sur une Asie prenant une place prépondérante dans le monde et œuvrer à un rééquilibrage avec les États-Unis. Sur le fond, l’Union doit également faire entendre clairement ses priorité à l’international : elle doit renforcer sa diplomatie verte (l’Union ne peut pas résoudre seul le réchauffement climatique) en parallèle de ses initiatives propres (mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, initiative sur la déforestation etc.) Concrétiser l’Europe de la défense : si une armée européenne avec un commandement unique n’est pas un objectif réaliste à moyen terme, nous pouvons mieux coordonner les efforts des États membres pour une action de l’Union européenne. Outre des initiatives comme le bataillon franco-allemand que nous devons maintenir, misons sur les groupements tactiques en multipliant les missions communes pour développer une culture militaire commune, préalable à de nouvelles unités communes. Cette évolution favorisera une Europe de la défense autonome autant qu’une Europe efficace dans l’OTAN. Nous devons également profiter du contexte actuel favorable au développement d’équipement au niveau européen. Pérennisons le Fonds européen de défense, plaçons-le sous leadership européen (avec contrôle des États membres) pour que tous ou une grande partie des Etats membres adoptent les mêmes normes dans leurs commandes à l’industrie de la défense. Comme pour l’achat de masque ou de médicaments en commun, l’Union est plus efficace si elle établit des programmes européens de commande à son échelle à la place de 27 « petits clients ». L’Union elle-même devrait prendre davantage l’initiative dans des chantiers prioritaires (avions, drones, hélicoptères, char, naval, renseignement etc.) Commerce : défendre une mondialisation régulée et utiliser les nouveaux instruments au service de l’Union : l’Union doit continuer à promouvoir des échanges internationaux soumis à des règles et ne pas céder à la pression protectionniste à géométrie variable imposée par les États-Unis, la Chine, l’Inde ou d’autres encore. Malgré ses imperfections (elle mérite une réforme), l’OMC reste un cadre dont les règles permettent une mondialisation régulée, au service notamment d’économies plus modestes et des pays en voie de développement. Continuons à lier l’action commerciale de l’Union avec des objectifs fondamentaux, tels que les droits fondamentaux et le climat, même si nombre de nos partenaires ont du mal à entendre ces priorités. Enfin, saisissons-nous des nouveaux outils qui ont été créés pour défendre les intérêts économiques de l’Union , tout en soignant nos débouchés commerciaux, grande source de croissance économique de l’Europe.

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