Formation et apprentissage : mobilité de la jeunesse dans l’UE - contribution PS 17 Daniel Sérus

Depuis sa création en 1987, le programme Erasmus s’est imposé comme la vitrine par excellence du projet européen. 12,5 millions de personnes ont pu en bénéficier, avec une montée en puissance du dispositif récemment : le budget du programme Erasmus+ a doublé sur la période 2021-2027 par rapport à la période précédente pour atteindre 10 millions de mobilités supplémentaires.

Initialement orienté vers les formations académiques universitaires, ce programme s’est dans les dernières années élargi pour inclure la mobilité des apprentis, dans des proportions qui restent pour le moment bien moindres, même si elles sont en augmentation. Ainsi en 2022 plus de 27 000 Français sont partis en Erasmus+ lors de leur formation professionnelle contre 6 900 en 2018-2019.

Dans un contexte où l’Union européenne a fait le choix de labelliser l’année 2023 “année des compétences” pour répondre à la pénurie de compétences, la mobilité dans le cadre de la formation apparaît comme un levier pour encourager l’apprentissage (notamment des soft skills).

Pourquoi l’Union européenne doit investir dans l’éducation et la mobilité

L’Union européenne dispose de compétences limitées en matière de formation professionnelle car elle ne peut pas prendre d’actes contraignants. Toutefois, elle peut inciter à la mobilité grâce au levier financier avec le programme Erasmus+. Ce dernier a déjà poussé les États à rapprocher leurs systèmes d’enseignement supérieur avec le processus de Bologne qui a créé l’Espace européen de l’enseignement supérieur.

Depuis la réunion des chefs de file de l’Union européenne à Göteborg en novembre 2017 et l’adoption du Socle européen des droits sociaux, l'éducation et la formation tout au long de la vie sont reconnus comme des droits humains fondamentaux et des biens publics communs. Cette volonté de remettre au cœur des engagements de l’UE l’éducation et la formation se traduit par l'ambition de créer d’ici 2025 l’Espace Européen de l’Education. L’objectif est encore une fois de renforcer la coopération des États membres pour que tous les Européens, quel que soit leur âge, bénéficient des diverses offres de formation et d’éducation au sein de l’UE. Cet Espace européen de l’éducation permettrait de développer non plus la mobilité des étudiants déjà bien ancrée, mais la mobilité des apprentis pour atteindre l’objectif fixé par le Conseil européen d’atteindre 8% des apprentis en mobilité.

En dépit de ces déclarations et de ces engagements, plusieurs études à l’échelle européenne montrent que les États européens investissent en moyenne de moins en moins dans ces thématiques alors même que l’éducation et la formation jouent un rôle essentiel dans la réussite économique, le bien-être d’une société et la qualité de vie des citoyens.

Afin de relever les défis sociaux et répondre à la demande des citoyens européens d’avoir une Europe sociale plus forte (Eurobaromètre sur les questions sociales, 2021), les dirigeants européens réaffirment leur volonté d’appliquer ou d’adopter trois objectifs principaux à atteindre d’ici à 2030

- L’emploi, avec 78% de la population âgée de 24 à 64 ans qui devrait être en emploi

- les compétences, 60% des adultes devraient participer chaque année à une formation

- la réduction de la pauvreté en réduisant d’au moins 15 millions le nombre de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale

Or nous constatons dans les faits qu’une grande part de la population, en particulier les jeunes de moins 30 ans, sont les premières victimes du manque de formation et d’emploi. Par conséquent, ils sont les premiers touchés par la pauvreté (en 2023 le chômage chez les jeunes en Europe est de l’ordre de 13,8 % - 16,9% en France).

C’est la raison pour laquelle la formation des jeunes aux métiers d’aujourd’hui et de demain reste un enjeu de la politique européenne, tout comme la question de la mobilité internationale qui renforce leur employabilité. Dès lors, la mobilité internationale devrait être accessible à tous, en priorité aux plus défavorisés avec des accompagnements adaptés. L’agence Erasmus estime dans son observation N°10 que 20% des apprenants en mobilité Erasmus + doivent faire face à des situations de précarisation et de vulnérabilité. Il est également estimé que la moitié des apprenants de l’EFP en mobilité Erasmus + sont des jeunes avec moins d’opportunités (JAMO). Cela est encourageant mais soulignons que les mobilités de l’EFP interviennent très souvent en groupe et pour des durées limitées, 27 jours en moyenne. Il faut que ces JAMO aient, comme les étudiants, l’opportunité de partir seuls pour de longues périodes.

Les apprentis, un public confronté à des freins spécifiques

Les apprentis, entre 18 et 29 ans, suivent une formation entre centres de formation et entreprises. Lorsqu’ils veulent effectuer une mobilité Erasmus+ ils rencontrent beaucoup plus de difficultés que les étudiants. En cause :

- les freins économiques (les apprentis viennent souvent d’un milieu social moins favorisé et les périodes de stage à l’étranger peuvent être non rémunérées, se loger peut être un poste de dépense trop important dans certains pays) ;

- le frein académique et linguistique (la reconnaissance des diplômes n’est pas automatique, l’enseignement professionnel peut être dispensé dans une langue étrangère) ;

- le frein juridique et administratif (les apprentis sont liés par un contrat de travail en France et leur statut est encore sujet à discussion quand ils se déplacent dans un autre pays, et les démarches administratives sont complexes) ;

- sans oublier le frein social (car confrontés à des discriminations en raison du genre, de l’âge, de l’origine ethnique, de la religion, de l’orientation sexuelle, d’un handicap, du nom, du lieu de résidence…).

Ces freins ont des conséquences : les apprentis partent peu comparés aux étudiants. De plus, la durée de séjour est beaucoup plus courte que celle des étudiants, 27 jours en moyenne. Les mobilités longues sont donc rares. Certains ont des problèmes d’argent pendant leur mobilité car ils ne sont pas rémunérés, d’autres reviennent de mobilité et ne peuvent pas passer l’examen pour lequel ils se préparaient car les heures de formation à l’étranger ne sont pas reconnues en France, des apprentis voient leurs projets annulés car leur patron français ne veut pas les laisser partir, ils ont des soucis psychologiques car l’accompagnement à l’étranger est insuffisant et ils se retrouvent isolés.

Se tourner vers l’avenir : les solutions à mettre en œuvre pour encourager la mobilité

La mobilité (notamment de longue durée) des apprentis est un sujet sur lequel est très présent Jean Arthuis, soutien d’Emmanuel Macron. Il a monté le projet Mona pour développer la mobilité longue des apprentis et bénéficie à ce titre de nombreux financements. Sylvain Maillard, député Renaissance, a aussi récemment proposé une loi qui simplifie les démarches administratives pour la mobilité des apprentis. Elle est passée à l’Assemblée Nationale et est maintenant entre les mains du Sénat.

Le Parti Socialiste doit se saisir de cette opportunité pour être également force de proposition sur le sujet et continuer à le faire vivre tout au long de la future campagne européenne.

Nos propositions concrètes à porter au Parlement européen et sur le terrain

De manière générale, la revalorisation des bourses allouées dans le cadre de mobilité Erasmus, aujourd’hui insuffisantes pour répondre aux besoins des jeunes, est un préalable indispensable pour encourager la mobilité. La piste préconisée par nos camarades de Yes de supprimer les frais de scolarité pour apporter une réponse franche à l’accès à l’éducation partout en Europe mérite également d’être sérieusement étudiée. Par ailleurs, si nous militons au sein du territoire national pour la création d’une allocation d’autonomie de la jeunesse, la création d’une telle allocation à l’échelle européenne est un horizon souhaitable.

La question spécifique du logement apparaît ainsi comme un sujet crucial à investir pour réduire le coût que représente la mobilité. En effet, il est fréquent que le montant des loyers rende impossible un projet Erasmus, c’est le cas pour de nombreux apprentis par exemple aux alentour de Dublin mais aussi aux Pays-Bas vers Amsterdam, Barcelone en Espagne, dans les pays scandinaves… Cela doit inviter les villes concernées par l’accueil de jeunes en mobilité à renforcer, de manière générale, leur offre de logements étudiants ou destinés à de jeunes travailleurs à des tarifs abordables.

Propositions concrètes : un Erasmus pour tous, en particulier pour les apprentis défavorisés, avec une bourse adaptée à leur situation venant éventuellement se compléter à une allocation d’autonomie de la jeunesse. Inciter les villes à élargir leur offre de logement pour les jeunes en formation.

Si l'accès à la mobilité et la réalité du départ constituent pour le jeune apprenti ou étudiant concerné des premières victoires, l’arrivée dans le pays peut également être synonyme de difficultés. Il arrive souvent qu’une fois à l’étranger les premiers mois soient très durs psychologiquement, en raison de l'isolement et du dépaysement : de nombreux témoignages font écho de pertes de moral, certains faisant ainsi le choix de rentrer après quelques semaines se ressourcer en France car se sentant délaissés.

En France, la crise sanitaire a mis l’accent sur la nécessité de renforcer l’accompagnement psychologique des jeunes, avec la création du dispositif “ Santé Psy Étudiant”, encore prolongé cette année. Ce dernier devrait être accessible y compris depuis l’étranger par des solutions de visioconférences dans le cadre de la mobilité ; à terme, un réseau européen d’accompagnement psychologique avec des professionnels labellisés en ce sens pourrait être créé.

Cette problématique de l’isolement dans le pays d’accueil nous invite aussi à nous interroger sur l’apprentissage des langues européennes dans leur diversité - qui offre également une solution au phénomène de “bulle” Erasmus constaté de façon concrète durant les séjours et alimenté par une logique de retrouvailles autour de la langue commune que constitue l’anglais. Cela nécessite, avant le départ, et en réalité dès les premières années de la formation scolaire, de renforcer le nombre d'heures et le panel des langues enseignées dans les écoles et collèges.

La France s’illustre pour le moment comme particulièrement mauvaise élève dans ce domaine, que ce soit sur le niveau de compétence atteint ou la diversité des langues offertes. Si l’allemand et l’espagnol sont fréquemment enseignés, il est beaucoup plus compliqué pour un élève français de bénéficier d’un enseignement de l'italien ou du portugais, pour ne citer que deux pays à proximité de l'hexagone…Pour encourager les mobilités et plus globalement nourrir l’identité européenne, l’Education nationale doit renforcer les volumes d’enseignement et les effectifs enseignants associés.

Par ailleurs, le bien-être des jeunes en mobilité passe également par un accès à la santé garanti sur l’ensemble de leur séjour : or la carte européenne d’assurance maladie présente aujourd’hui certaines limites, notamment en ce qui concerne les opérations chirurgicales. Tout doit être mis en œuvre pour que tous les soins médicaux, dans leur diversité, soient accessibles pour un jeune Européen muni de sa carte européenne dans le pays où il est en mobilité.

Propositions concrètes : prévoir un accompagnement psychologique pour les apprenants en mobilité en particulier lors du premier mois, élargir le panel de langues étrangères enseignées dès l’école primaire, renforcer l’accès aux soins dans l’UE couverts par la carte européenne d’assurance maladie.

Si le processus de Bologne a créé un réel espace européen d'enseignement supérieur, il n’existe pas à ce jour d’espace européen de l’education (voire de l'apprentissage). Malgré les recommandations du Conseil de l’UE pour harmoniser les modèles d’apprentissages en Europe, une multitude de systèmes perdure. Bien que cette diversité représente une richesse, un rapprochement pour créer un statut unifié de l’apprenti est nécessaire pour la reconnaissance des acquis et limiter les freins juridiques (i.e. les incompatibilités de statut, par exemple un apprenti français qui devient étudiant à l’étranger) qui empêchent les apprentis d’effectuer une mobilité Erasmus.

Proposition concrète : rendre concret l’espace européen de l'éducation qui permettrait de créer un statut unifié de l’apprenti en Europe qui oblige tout stage à être rémunéré sans condition (évite le dumping social, aide les jeunes à s’émanciper, facilite la mobilité), limite les incompatibilités de statut et permet d’avoir un système de crédit européen d’apprentissage comme les ECTS (European Credit System for Vocational Education and Training) avec une reconnaissance automatique des crédits entre Etats de l’UE.

Par ailleurs, au-delà de ces éléments de fond dont nous appelons à l’intégration dans notre programme à l’occasion des prochaines élections européennes, nous pouvons à notre échelle militante commencer dès maintenant à agir sur le terrain pour faire vivre ces idéaux, notamment dans une logique “d’aller vers” les classes populaires, qui ne disposent pas forcément des informations concernant les dispositifs déjà existants dont elles peuvent bénéficier.

Proposition concrète : mettre en place des actions militantes sous forme de points fixes dans des lieux stratégiques pour renseigner les jeunes sur les ressources accessibles pour partir en mobilité et les encourager à se lancer dans l’aventure, le tout dans un format ludique et participatif.

Par l’ensemble de nos propositions, nous avons vocation à apporter plus de diversité sociale au programme Erasmus+, combattre les votes anti-européens et renforcer l’employabilité des apprentis issus des classes populaires.

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